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est d’humeur charitable ou sceptique, et comme il serait plus naturel de causer d’affaires avec John Bull.

Est-ce que l’égoïsme anglais est à démontrer ? Il est farouche, cruel, implacable. Il remplit l’histoire de la Grande-Bretagne. Il accable l’individu et les peuples. Il est formidable comme un fléau.

On nous dit cependant qu’il est moins dur envers la France qu’envers les autres nations. On veut nous persuader que les Anglais, qui n’aiment qu’eux-mêmes, ont de la sympathie pour nous. Mais, on ajoute, et c’est là ce qui fait que cette sympathie n’est encore que de l’égoïsme, qu’ils nous en veulent de notre extension coloniale et de notre politique coloniale. Ils nous reprochent de fermer nos marchés tandis qu’ils ouvrent les leurs. Et leur sentiment est que ce qu’ils auraient de mieux à faire serait de nous faire la guerre, pour nous vaincre, bien entendu, et récupérer les marchés que nous leur avons fermés. « Tu dois avoir ce que tu n’as pas perdu », disait un sophiste ancien. Les Anglais ne se disent pas que ce que nous avons, nous ne le leur avons pas volé. Ils se contentent de dire que ce que nous avons devrait leur, appartenir. Toute leur politique avec nous consiste à nous inviter à ne pas prendre ce qui leur fait envie, à ne pas signaler le dommage qu’ils causent à d’autres, à nous dérober devant leurs projets. C’est une politique de concurrence indiscrète et incorrecte, de jalousie, d’entraves et de déloyauté. C’est une politique sans grandeur. C’est, enfin, cet égoïsme national anglais dont nous avons d’autant plus à souffrir que nos relations de bon voisinage nous rendent généralement plus souples envers eux ; et c’est précisément lorsque nous abandonnons, par accident, cette souplesse coutumière et cette bonhomie traditionnelle que nos voisins sont d’autant plus exagérés.

« Notre nation est honnête, mais nos diplomates manquent de probité politique », disait Wellington en 1818, au Congrès d’Aix-la-Chapelle. Hélas ! et puisque c’est surtout à propos de la question coloniale que l’Angleterre exprime des griefs contre nous, disons tout de suite que l’histoire seule de notre extension justifierait contre elle un interminable réquisitoire. Bornons-nous à quelques faits présents à la mémoire de tous. Du jour où l’Angleterre a compris, par notre évolution vers le Haut-Niger, que nous voulions atteindre le Soudan central, elle en a pris les portes afin d’y arriver avant nous et d’y drainer tout le commerce à son profit. Fallait-il donc lui laisser la place et nous en tenir exclusivement au Sénégal ?

Par la Gambie, malgré qu’il y ait majorité de maisons françaises, elle a voulu pénétrer politiquement jusqu’au cœur de nos possessions, et on l’a laissée faire.

Dans le Sierra Leone, l’Achanti et le Lagos, et à l’aide de privilèges exceptionnels en faveur de ces deux dernières colonies, elle va tenter de tuer par sa concurrence notre existence économique. Son but est de nous ruiner ou, ce qui est la même chose, de nous rendre impuissants, à la fois par la côte occidentale, le Soudan oriental et le Sahara marocain. Entre temps, elle avait, d’ailleurs, tout fait pour entretenir contre nous l’hostilité des grands chefs comme Ahmadou et Samory ; allant jusqu’à leur offrir son alliance contre nous et, faute de mieux, leur vendant des armes pour nous combattre.

Peut-elle citer un seul exemple où la France ait agi de la sorte à son égard ?

Au Maroc, après l’échec du cap Juby survient l’établissement d’Arksis, sur la côte du Souss. Cette dernière combinaison est le triomphe de la compagnie Globe Venture syndicale, fondée en 1896, d’abord rebutée par le gouvernement chérifien, puis soutenue par le gouvernement anglais contre celui du Maroc. L’affaire, aujourd’hui réglée, permet à l’Angleterre d’ouvrir un port à Arksis et d’y établir un bureau de douanes. C’est le Souss marocain livré à son influence, et c’est une menace pour nous quand viendra l’heure de délimiter nos frontières avec le Maroc du côté du Touat. C’est la revanche du cap Juby. C’est le complément du programme stratégique dont les affaires de la boucle du Niger et celle du Haut-Nil ont été ou sont encore les principales manifestations. Et la défiance de notre rivale, dans l’exécution de ce plan d’étouffement, va jusqu’à une démence dont quelques-uns des nôtres subissent malgré eux l’influence. Au début de la mission exclusivement commerciale que M. Foureau dirige vers l’Aïr, un journal français des plus accrédités s’est fait l’écho d’une crainte qu’aurait eue notre gouvernement de voir cette mission dévier de son but pour s’égarer hors des territoires laissés à l’exercice de notre influence par la convention de 1890. Vers quels pays étrangers, fort éloignés des nôtres, aurait-elle donc pu dévier ? C’est à croire que, même au Sahara, l’Angleterre nous surveille. Et, certes, elle nous surveille. Mais, est-ce en Afrique seulement que notre simple présence la gêne, l’offusque et l’horripile ?

Dans l’Indo-Chine, elle est gênée par notre établissement sur le Mékong et le contact de notre Tonkin avec les riches provinces méridionales de la Chine. Son chemin de fer de Birmanie, de la Birmanie qui lui est, d’ailleurs, aussi utile que le serait pour nous le Sokoto soudanais, son chemin de fer est une attaque dirigée contre nos sacrifices. C’est une attaque légitime, soit ! Mais pourquoi, lorsque la Chine nous autorise à prolonger notre réseau tonkinois jusque dans le Yunnan et le Kouang Si, réclame-t-elle sans