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bras. Il la sent inanimée et comme paralysée. Il aperçoit dans ses mains le mouchoir imbibé de chloroforme, tente vainement de l’arracher à ses doigts crispés, puis brusquement il la laisse retomber en balbutiant avec terreur :) Simone !… Simone !… Ma petite Simone !

(Rideau.)

FIN

Fernand V.wdérem.


L’AMITIÉ ANGLAISE

Déjà, on peut dire que l’incident de Fachoda s’est produit dans des conditions exceptionnellement mauvaises. Il a surpris la France au milieu d’un malaise général et l’Angleterre au milieu d’un rêve éblouissant. Mais, alors qu’il n’était qu’une diversion pour la France, il reste pour l’Angleterre un tableau inhérent à son rêve. Chez l’une, il a suscité l’angoisse d’une catastrophe ; chez l’autre, il n’a laissé qu’une contrariété. C’est à ces proportions qu’il convient de ramener les sentiments soulevés par un événement qui, mal prévu en France, a déconcerté plus de gens qu’il n’en a déçus ; alors qu’en Angleterre il provoquait, ainsi que l’acte d’un enfant terrible, une crise de stupeur et de peur.

L’Angleterre a eu peur de voir compromise par l’incident de Fachoda, non pas une œuvre de quinze ans, mais une œuvre séculaire.

Son intention de chercher en Égypte une route vers l’Extrême-Orient est plus ancienne que son projet d’y trouver une route pour aller dans l’Inde. Elle a cherché sans la trouver, mais sans abandonner le moins du monde l’espoir de l’obtenir plus tard, une voie directe de la côte de Syrie par la vallée de l’Euphrate. Les événements n’ont point tourné comme elle le désirait. L’influence russe en Asie, bientôt en concurrence avec l’influence allemande, et la substitution très nette à la sienne de ces deux influences sur la Turquie, en reculant à une échéance indéterminée l’heure d’une désagrégation que sa politique escompte depuis un siècle, l’ont convaincue de la nécessité de s’en tenir à la voie de l’Égypte et d’y prendre des gages. Elle les a pris, pour en amplifler l’opportunité.

Le prétexte d’occupation de la vallée du Nil fait place à la considération des services rendus, et ceux-ci seront présentés à l’acquit de l’Europe. C’est alors que surgit l’incident de Fachoda.

Il y a donc une puissance qui ne veut pas reconnaître le fait accompli. Car cette prise de possession d’un poste obscur en territoire abandonné, dont la destinée est restée indécise, n’est en soi qu’un acte matériel sans importance. Mais il est contradictoire avec l’unité d’espérances politiques conçues par l’Angleterre ; il rompt l’ensemble et l’opportunité de ses gages ; il est comme une protestation contre l’extravagante prétention de tout prendre, non seulement ce qui n’appartient à personne, mais aussi ce qui n’est même pas justifié par une antériorité de conquête. Et qui ose ainsi se mettre en travers d’un plan longuement médité, mûri avec une assurance imperturbable, avec une tranquilité parfaite ? C’est cette France voisine, un instant distraite de ses convulsions intérieures, et qui s’avise, de par son intempérante fantaisie, de tout remettre en question, c’est-à-dire l’Égypte et ses droits, le programme de l’Angleterre et la sérénité de son exécution.

L’Europe pouvait, effectivement, céder aux circonstances et, à son tour, prenant Fachoda pour prétexte d’intervention, remettre à l’ordre du jour de ses conférences la question d’Égypte. On peut dire à coup sûr que l’Angleterre en a eu peur. Il ne faut pas chercher d’autre motif à la manifestation navale à laquelle elle a cru devoir se livrer, de même qu’aux menaces exprimées par sa presse et ses orateurs.

L’Angleterre voyait son rêve enfin réalisé. Elle allait recueillir, sans secousses, le fruit de sa politique, lorsque l’affaire de Fachoda vint la frapper de peur bien plus que de surprise. Elle n’a jamais ignoré la mission Marchand ni son objet ; mais elle ne croyait pas que l’incident aurait en France autant de retentissement. Elle ne saisit pas la valeur de certaines de nos émotions. Elle ne vit là qu’une menace d’avoir tout à défaire. C’est que, logiquement, et n’en déplaise à quelques têtus, Fachoda posait implicitement la question d’Égypte. Cela équivalait à une dénonciation des déclarations mêmes de lord Grey et de M. Hanotaux en 1894.

L’Angleterre a-t-elle réellement cru à une combinaison de cette portée de la part de la France ? C’est douteux. N’a-t-elle pas simplement considéré qu’il suffisait qu’une manœuvre politique comme celle de Fachoda fût interprétée par les puissances comme un argument dissolvant de son programme de conquête pour justifier une consultation internationale ? C’est possible. Toujours est-il que l’exagération de la France, consciente ou non, a exagéré l’agitation de l’Angleterre ; et cet excès d’émotion anglaise apparaît d’autant plus inopportun maintenant que la France a réduit l’incident à une erreur et l’a résolu comme telle. L’avenir, d’ailleurs, dira si cette erreur est réparable. En tout cas, sa solution a soulevé une fois de plus une question intéressante, celle de l’amitié anglaise.

Quel joli sujet de conversation de porte à porte que cette amitié anglaise ! Comme il prête à des échanges de banalités de part et d’autre selon qu’on