Page:Revue bleue Série 4 Tome 11 - 1899. djvu.djvu/20

Cette page n’a pas encore été corrigée

accomplir virilement les devoirs de l’armée. C’est là le seul esprit militaire possible dans une démocratie où le service est obligatoire pour tous.

On parle aussi sans cesse de la « discipline », et non sans raison ; seulement, là encore, il faut tenir compte des conditions nouvelles de l’armée. Ce n’est pas la discipline passive, automatique et formaliste qu’on peut espérer d’obtenir en deux ou trois ans ; la vraie discipline est avant tout morale et civique, faite du sentiment du devoir patriotique, de la confiance dans les chefs, du respect et même de l’affection. En outre, elle doit comporter un certain degré d’initiative personnelle. Voilà la discipline sur laquelle on pourra compter dans les campagnes militaires, alors que toutes les punitions habituelles de la caserne seront devenues impuissantes. « La force morale, a dit le général Dragomiroff, est la force principale des armées. » Elle constitue, a dit aussi le maréchal de Moltke, le principal et le plus actif des « impondérables » de la puissance militaire. La raison de la victoire, disait le maréchal de Saxe, est « dans le cœur des hommes, et c’est là qu’on doit l’y chercher ». Si le nombre des combattants était seul important, le succès des campagnes se trouverait « inscrit à l’avance dans les tableaux statistiques ». Ce n’est pas davantage la supériorité de l’armement qui, à elle seule, peut assurer la victoire. Les spécialistes en donnent pour preuve la défaite de l’infanterie française, armée de l’excellent chassepot, par l’infanterie prussienne, dont le dreyse était moins bon.

Les Lettres sur l’infanterie du prince de Hohenlohe montrent combien il est faux de considérer l’armée allemande comme un « automatisme à la prussienne » alors qu’elle est une « armée-école » beaucoup plus qu’une « armée-bureau ». Chez nous, on reproche généralement à l’officier polytechnicien, ou saint-cyrien d’être trop « intellectuel », d’apporter dans l’armée les ambitions d’un fonctionnaire civil, désireux d’arriver dans les bureaux et à l’état-major. On peut dire que l’idée morale proprement dite n’a guère de rôle dans les écoles militaires et, plus tard, dans les régiments. Là comme partout, on s’en remet à la « moralisation spontanée » qui, par malheur, n’est souvent que démoralisation spontanée, abandon de soi, scepticisme, dilettantisme, ennui, insouciance chez le plus grand nombre, étroitesse de croyance et aveuglement fanatique chez quelques-uns.

Le véritable esprit patriotique, étant moral et social, ne saurait être développé chez les futurs officiers que par une forte éducation morale et sociale. Cette éducation doit être donnée d’abord dans nos grandes écoles par des professeurs de philosophie, puis par des professeurs de lettres et des professeurs d’histoire ayant reçu une forte culture philosophique et se proposant un but d’éducation, non de pure instruction. Pour que ce résultat soit atteint, il faut que l’enseignement des grandes écoles soit arrêté en commun avec le Conseil supérieur de l’instruction publique, au lieu d’être, comme aujourd’hui, soustrait à l’action de l’Université et livré aux ministères de la Guerre ou de la Marine, dont l’incompétence morale et pédagogique n’a pas besoin d’être démontrée.

Quant aux régiments, il faut y faire pénétrer le même esprit moral et social, non par des conférences d’amateurs sur des sujets de fantaisie, mais par une constante préoccupation de l’éducation dans l’instruction même, par l’organisation d’un véritable enseignement civique régulier, complémentaire de l’enseignement donné aux enfants et aux adolescents.

Michelet a eu raison de dire : Quelle est, la première partie de la politique ? L’éducation. — La seconde ? L’éducation. — La troisième ? L’éducation. Le progrès national, en effet, naît des qualités transmises par l’hérédité et acquises par l’éducation ; les fondements sur lesquels reposent la santé et la force d’un peuple sont donc avant tout l’hygiène et la morale.

Alfred Fouillée.
de l’Institut.

LE CALICE’)

COMÉDIE EN TROIS ACTES

ACTE TROISIÈME

Même ilécor qu’à l’acte précédent. Suleil sur la terrasse. Au lever du rideau, deux commissionnaires guidés par Germain et portant une malle, entrent par la vérandah du fond.

SCÈNE PIEMIÈRE

GERMAIN, DEU.X COMMISSIONNAIRES,

puis E L E N,’V

Germ.in. — Là, par ici… Faites attention à la table !… [Les commissionnaires s’arrêtent un instant pour souffler.)

Premier commissionnaire. — Dites donc, la dame qui s’en va, c’est ben la femme du grand brun, qui est parti ce matin à sept heures ?…

Germain. — Oui, c’est sa femme !

Premier commissionnaire. — Ben vrai, on en a de l’excédent dans ce ménage !…

Deuxième commissionnaire. — C’est ben pour Paris, pour le train de dix heures et demie ?…

Germain. — Oui, dépêchez —vous, vous n’avez

(1) Voir la Revue des 24 et 31 décembre 1898. — Tous droits de représentation, de reproduction et de traduction réservés pour tous pays, y compris la SuOde et la Norvège.