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Embusqué à l’entrée d’une cour, un roquet pelé jappe après lui, et Valodia sent l’injure de ces jappements furieux.

Les gamins de la rue, eux aussi, lui en veulent et le raillent. Comme il eût eu vite fait, autrefois, de leur régler leur compte ! Tandis que maintenant… Une peur inexplicable le prend à la gorge, et ses bras retombent, inertes…

Valodia est arrivé à la maison, Prascovie lui ouvre la porte. Valodia n’est pas à l’aise devant ce regard froid où il devine une méchanceté. Bien vite il se débarrasse de son manteau, sans même lever les yeux sur le pitoyable visage de la vieille servante.


Mme Lovlev est seule dans sa chambre. Il fait sombre déjà. Mme Lovlev est triste.

Une fenêtre s’éclaire à la maison d’en face.

Valodia accourt, tout joyeux ; le regard de ses grands yeux est un peu étrange.

— Maman, maman, la lampe est allumée. Allons jouer aux ombres.

Mme Lovlev se lève et suit Valodia. L’enfant dispose la lampe.

— Maman, maman, j’ai inventé une nouvelle figure. Tu vois : c’est la steppe… la steppe couverte de neige… et la neige tombe, tombe… une vraie rafale !…

Valodia croise ses mains, entrelace ses doigts.

— Et maintenant, vois-tu ce vieux qui marche ? Il a de la neige jusqu’aux genoux. Il peut à peine avancer. Il est seul. Pas une âme dans la plaine, et le village est loin. Il n’en peut plus, il a froid, il a peur. Comme il est courbé, ce pauvre vieux !

Mme Lovlev redresse les doigts de Valodia.

— Ah ! s’écrie Valodia avec enthousiasme, le vent lui arrache son bonnet… le vent ébouriffe ses cheveux… le vent le renverse dans la neige… Quel tas de neige, maintenant ! Maman, maman, entends-tu ?

— Oui, la rafale…

— Mais lui ?

— Le vieux ?

— Oui, le vieux, l’entends-tu ?

— Au secours ! Au secours !

Blêmes tous les deux, la mère et le fils regardent fixement la muraille. Valodia abaisse ses mains, le vieux tombe.

La première, Mme Lovlev revient à elle.

— Allons, dit-elle, au travail maintenant.


C’est le matin. Mme Lovlev est seule à la maison. Hantée de pensées incohérentes, torturée de sombres pressentiments, elle va de chambre en chambre.

Sous les pâles rayons d’un soleil voilé de nuages, une ombre vague, la sienne, se dessine sur la porte peinte en blanc. Elle s’arrête, et, d’un geste large, elle élève la main. L’ombre se balance et lui chuchote à l’oreille des choses tristes et douces, connues déjà. Il semble qu’un étrange apaisement se fasse en elle ; debout devant la porte, souriant d’un bizarre sourire, elle agite ses deux mains et suit le frissonnement léger des ombres.

Elle entend des pas, les pas de la servante, et une honte lui vient de s’occuper à de pareilles niaiseries…

Elle retombe à ses hantises apeurées…

« Il faut changer de pays, pense-t-elle, voyager, se distraire… Oui, fuir, fuir loin d’ici… »

Et tout à coup les paroles de Valodia lui reviennent à la mémoire :

« Il y en a partout, des murs, partout… »

Où fuir ? où se sauver ?

Et, dans son désespoir, Mme Lovlev tord ses belles mains blanches.


C’est le soir, dans la chambre de Valodia.

La lampe allumée est posée sur le plancher. Sur le plancher aussi Valodia et sa mère, assis côte à côte, face au mur. Tous deux font, avec les mains, d’étranges mouvements…

Sur le mur des ombres courent, des ombres dansent.

Ces ombres, Valodia et sa mère les comprennent.

Valodia et sa mère sourient tristement ; ils se murmurent à l’oreille on ne sait quels secrets troublants qui pèsent à leurs âmes. Calmes sont leurs visages, apaisées leurs rêveries. Ils sont heureux et tristes, heureux d’une joie sans espérance, tristes d’une mélancolie sans amertume.

La folie brille dans leurs yeux, la folie maudite, la folie bénie…

Et la nuit descend sur eux.

Fedor Sologoub.
(Traduit du russe par Claire Dugreux.)
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VARIÉTÉS

Louis xviii à Gand[1]


Louis XVIII arriva à Gand le 30 mars 1815, à cinq heures de l’après-midi, Monsieur et le duc de Berry, qui l’y avaient précédé la veille et l’avant-veille, l’attendaient à son entrée. Le Roi, vêtu d’un costume bleu céleste, était assis au fond d’une voiture de gala, attelée de six chevaux ; il fut complimenté par le bourgmestre, le comte Philippe de Lens, accompagné

  1. Extrait d’un ouvrage de MM. E. Romberg et Albert Malet : Louis xviii et les Cent-Jours à Gand, recueil de documents inédits publié pour la Société d’histoire contemporaine (Paris, Picard).