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tion intellectuelle et morale, et à compléter ainsi les leçons de l’école.

On croit gagner quelque chose en laissant les enfants du peuple entrer prématurément à l’usine ou à l’atelier ; mais, par là, on arrête leur développement physique, intellectuel et surtout moral ; on gaspille ainsi des forces vives plus importantes pour la nation qu’un excédent de travail matériel. L’industrie elle-même vil par la science, soit théorique, soit appliquée ; son véritable intérêt, c’est le développement le plus grand possible des intelligences, non seulement dans l’élite, mais dans la masse même. D’autre part, la moralité populaire est le premier et le plus vital des grands intérêts nationaux. Il en résulte que l’organisation et la diffusion de l’enseignement post-scolaire devient un objet non plus de luxe, mais d’absolue nécessité.

Dans un des récents congrès internationaux de Londres, le rapporteur Sidney Webb constatait que, en l’état actuel, les enfants des masses sont dépourvus totalement du loisir, qui est « la condition expresse de tout développement harmonique », privés d’accès aux connaissances scientifiques, « qui sont l’héritage commun de toute l’espèce humaine » ; le capitalisme, afin d’économiser le travail des adultes, emploie le travail des enfants et des adolescents ; par là, il étiole physiquement les générations ; il les étiole aussi intellectuellement et moralement. Le futur bien-être des sociétés dépend du développement du loisir et de l’instruction. En conséquence, le Congrès demanda que l’âge minimum pour l’exemption de l’école et l’emploi dans la petite industrie, ainsi que dans l’industrie mécanique, fût fixé à seize ans accomplis ; qu’il fût interdit d’employer les jeunes gens au-dessous de dix-huit ans pour le travail de nuit dans toute profession malsaine ou dangereuse ; interdit d’employer un garçon ou une jeune fille de moins de dix-huit ans, soit dans les manufactures, soit dans l’industrie domestique, pendant plus de vingt-quatre heures par semaine, de manière à pouvoir établir le système du « demi-temps » et à permettre ainsi un enseignement complémentaire. Mêmes résolutions prises par la Société Fabienne d’Angleterre, qui fait profession de tempérer le socialisme et de « temporiser ». Il y a beaucoup de vrai dans ces plaintes et il y a beaucoup de bon dans ces résolutions, quoiqu’elles ne soient pas toutes immédiatement applicables. Le grand problème est de concilier les nécessités croissantes de l’instruction ou de l’éducation avec les nécessités également croissantes de la vie réelle et du gagne-pain.

En Allemagne, outre une multitude d’institutions privées pour les adolescents, il existe un enseignement primaire public du dimanche pour ceux qui ont quitté l’école. Le « cours dominical » est ouvert, dans chaque bourg, village ou paroisse, tous les dimanches, excepté durant la moisson, pour les garçons et les filles de 12 à 18 ans ; jeunes gens et jeunes filles ne peuvent se marier avant de prouver qu’ils l’ont fréquenté assidûment. Cette classe du dimanche dure deux heures, sous la surveillance tantôt du maire, tantôt du curé ou du pasteur. L’enseignement primaire se complète aussi dans les écoles « bourgeoises ». Ces écoles, correspondant à peu près aux écoles primaires supérieures, sont, pour la plupart, ouvertes les dimanches et fêtes, et elles sont très fréquentées. En Suisse, la durée du cours de l’école complémentaire est ordinairement de trois ans et, dans beaucoup de cantons, la fréquentation en est obligatoire pour tous les jeunes gens et les jeunes filles libérés de l’école primaire qui ne fréquentent pas un établissement d’enseignement secondaire. En Angleterre, les institutions du même genre se multiplient. Chez nous les catholiques s’étaient déjà imposé beaucoup de sacrifices en vue de l’éducation post-scolaire : les œuvres de jeunesse » des Frères de la doctrine chrétienne sont surtout à mentionner. Les instituteurs laïques ne sont point restés en arrière. Voici, pour l’année 1897-98, le bilan de l’école prolongée :

30 308 cours d’adolescents et d’adultes professés dans les écoles publiques ;

5 000 cours professés dans les sociétés d’instruction, chambres syndicales, etc. ;

117 152 conférences ont été faites, avec ou sans projections ;

400 sociétés de mutualité scolaire fonctionnent, 150 sont en voie de formation ;

2 770 associations d’anciennes et d’anciens élèves sont constituées, 600 sont en projet ;

809 patronages sont ouverts, 100 sont à la veille de s’ouvrir ;

1 600 réunions déjeunes filles sont organisées dans les écoles ;

482 907 jeunes gens des deux sexes ont assisté assidûment aux leçons ;

39 507 instituteurs ont fait les cours du soir, sans compter 5 000 conférenciers, directeurs de mutualités, associations, patronages.

L’État français, qui donnait 20 000 francs en 1895, n’en donnait encore, en 1897, que 130 000. L’État anglais, dans le même temps, a promulgué deux lois relatives à l’éducation populaire et est intervenu par les 7 millions de la Charity commission, par les 10 millions annuels de l’impôt sur l’alcool, par d’autres subventions encore aux Universités[1]. En Angleterre, l’inspiration générale a été sans doute religieuse, mais les œuvres ont été laïques, non

  1. M. Henry Bérenger, la Conscience nationale, 1898.