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— Pourquoi, mon enfant ?

— Si elles éclairaient davantage, elles aussi, elles feraient des ombres.

— Ah ! Valodia, mais tu ne penses donc plus qu’aux ombres ?

— Maman, maman, je ne l’ai pas fait exprès, répond Valodia d’une voix de repentir.


Valodia ne demanderait pas mieux que de bien travailler ; il sait que sa paresse fera de la peine à sa mère. Mais tout l’effort de son imagination ne va qu’à entasser, le soir, sur sa table d’écolier, le plus d’objets possible, tous ceux qui lui tombent sous la main, à les disposer en cent façons, pour obtenir des ombres nouvelles, des ombres capricieuses ; et quand, sur le mur blanc, se dessinent des silhouettes qui sont des ressemblances, il est ravi. Ces ombres lui sont chères, sont devenues ses amies. Elles ne sont point muettes ; elles parlent ; et Valodia comprend le murmure de leur langage mystérieux.

Il comprend la plainte du vagabond qui s’en va par les grandes routes, dans le clapotis des jours pluvieux d’automne, le dos coupé par sa besace, le bâton à la main, grelottant.

Il comprend le gémissement de la forêt envahie par la neige, le craquement des branches gelées, la mélancolie du calme hivernal ; il comprend les croassements sinistres du corbeau perché sur le chêne dépouillé ; il comprend l’inquiétude peureuse de l’écureuil au creux d’un arbre mort.

Il comprend les larmes des pauvres vieilles mendiantes, en loques, sans asile, toutes cassées, qui tremblent sous le vent d’automne, là-bas, dans l’étroit cimetière, au milieu des croix chancelantes et des tombeaux noircis.

Tout n’est qu’oubli de soi, tristesse, désespoir.

Fedor Sologoub.
(Traduit du russe par Claire Dugreux.)

(À suivre.)

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LA BANQUE DE FRANCE

1800-1899

Historique.


La déconfiture de la Banque générale de Law, sous la Régence, n’avait pas encouragé la fondation des Banques d’émission en France. Il nous faut arriver jusqu’en 1776 pour trouver la Caisse d’escompte, imaginée par le banquier genevois Penchaud. En 1796 apparaît la Caisse des comptes courants, et en 1797, la Caisse d’escompte du commerce. Le Comptoir commercialCaisse Jabach date de 1800. Ces trois institutions, qui n’osaient pas prendre le nom discrédité de banques, sont les principales qui, à Paris, émettaient des billets. Elles n’avaient d’ailleurs aucun privilège à cet égard. Une simple autorisation, avec quelques mesures de précaution qui leur étaient imposées, suffisait. En province, on ne cite que la Société générale de commerce de Rouen pour s’être livrée à ce genre d’opérations.

Ces caisses paraissent avoir fonctionné assez régulièrement. Mais leurs forces étaient limitées comme leur nombre, et elles ne rendaient pas tous les services qu’il fallait. Quelques financiers de l’époque, parmi lesquels MM. Perregaux, Perrée, Récamier, etc., eurent l’idée d’un organe nouveau de crédit, et y intéressèrent vivement le Premier Consul.

Telle fut l’origine de la Banque de France, créée en 1800 (24 pluviôse an VIII).

C’était encore une société libre et indépendante, sans privilège exclusif. Elle avait pour objet : 1o  les opérations de banque, telles que l’escompte, les recouvrements, les avances et les dépôts ; 2o  l’émission de billets au porteur et à vue, devant être émis dans une proportion telle, qu’au moyen du numéraire réservé dans ses caisses et des échéances du papier de son portefeuille, elle ne pût, dans aucun cas, être exposée à différer le payement de ses engagements.

Sa durée était illimitée. Elle était administrée par 15 régents nommés pour cinq ans, renouvelables par cinquième, et rééligibles. Un comité de trois régents nommés par leurs collègues formait le pouvoir exécutif : c’était le comité central.

Le capital primitif fut fixé à 30 millions. Il n’était pas facile, dans les circonstances où l’on se trouvait en 1800, de le trouver. Mais le gouvernement était bien disposé. Cinq millions sur trente, prélevés sur les cautionnements des receveurs généraux, passèrent de la Caisse d’amortissement à la Banque. Le Premier Consul souscrivit pour 30 actions. Sa famille et son entourage suivirent son exemple, ainsi que les gros banquiers et négociants de l’époque. Ce qui manquait fut trouvé par l’échange d’une partie des actions de la Caisse des comptes courants contre des actions de la nouvelle banque. C’est ainsi que l’on peut faire remonter l’origine de la Banque de France à cette Caisse des comptes courants, dans les bureaux de laquelle elle s’établit. C’était à l’hôtel Massiac, place des Victoires. Mais, en 1812, elle s’installa dans l’hôtel de Toulouse, situé rue de la Vrillière, à la place de l’imprimerie nationale qui émigra dans la rue Vieille-du-Temple.

Elle occupe toujours le même emplacement.

La nouvelle institution ne devait pas tarder à changer de caractère. La loi du 24 germinal an X (14 avril 1803) conféra à ses statuts le caractère légal