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7/if) M. FERDINAND BRUNETIÈRE. — LES ÉPOQUES DU THÉÂTRE FRANÇAIS. relies commençait de succéder un costume plus galant, les « blonds cheveux », les « grands collets», les « petits pourpoints », les « canons de dentelle », la « petite oie » du marquis de Mascarille ; — et des « vertus moins diablesses ». Une génération nouvelle, toute moderne, la génération des Henriette, celle des La Vallière et des Montespan avait comme chassé de la cour les héroïnes de la Fronde : Montbazon, Chevreuse ou Longueville. On n’admirait plus que de loin, à dis- tance presque respectueuse, les Camille et les Emilie, les Pauline même ou les Chimène, et on les trouvait toujours grandes, mais elles semblaient trop viriles aux Vardes et aux Guiches. Enfin, au signal donné par Louis XIV, les conditions commençaient à se mêler da- vantage; l’homme de lettres s’émancipait de la protec- tion des financiers ou des grands seigneurs pour passer sous celle du prince; et quand on était Boileau, quand on était Racine, pour être « du monde », il allait suffire bientôt de le vouloir. Entre ces deux tendances, Racine, messieurs, tel que je viens essayer de vous le peindre, pouvait-il un instant hésiter; et son intérêt, ses amis, ses goûts, sa jeunesse, son génie, tout enfin ne le poussait-il pas du côté de la nouveauté? Mais allait-il pour cela, novateur imprudent et fou- gueux, à la cartésienne, faire table rase, en quelque manière, de tout ce qui l’avait précédé? n’en rien retenir? en tout proscrire et en tout condamner? Ohl que non pas, messieurs, et qu’il était pour cela trop habile! qu’il avait trop de tact! qu’il était trop poète aussi. Mais, avec une promptitude et une sûreté de goût qui sont déjà de l’inspiration, tout ce qui pouvait servir à l’enrichissement ou au perfectionnement de ’son art, il allait le saisir, s’en emparer pour se l’assi- • miler, et de l’autre main, si je puis ainsi dire, distin- guer, écarter, éliminer, — mais non pas malheureu- sement anéantir, — tout ce qui pourrait en altérer la noblesse et la pureté. C’est ainsi que l’iieureux emploi que Corneille avait fait de l’histoire dans le drame, vous ne voudriez pas que Racine l’eilt méconnu! C’est pourcela qu’il est trop poète ou trop artiste, et qu’il a trop subi, ([u’il connaît trop le ciiarme ou le prestige du passé. Qui a su mieux que lui le pouvoir mystérieux du seul éloigne- ment de la (iistancc et (ki temps? et conimciil les aniu’es (iiii coulent et les siècles qui passent elfacent les aiigli’S des choses, en adoucissent les aspérités, en fondent his couleurs, en harmonisent h’s contours? Il sait aussi la magie des mots, de ces beaux mots, cliers aux poètes, qui évociueiit après eux tout un long cor- tège d’images imprécises et flottantes. Et il sait eiwore que le temps lui tout seul, dans .sa fuite in.sensible, a comnu; em|)orté la mémoire des vices de Cléopàlre ou des crimes d’Octave pour ne conserver et ne l’aire passer jus([u’à nous : sous le nom de la première, que le symbole de la volupté même, et avec le nom du second rim|)éris.sahle souvenir de l’univers comiuis, pacifié, unifié, civilisé par les armes romaines. Que dirai-je de plus? Que personne n’a su comme lui qu’en poésie comme en peinture, l’histoire ou le passé, d’un seul mot, c’est le style; Ces flambeaui, ce bûcher, cette nuit enflammée, Ces aigles, ces faisceaux, ce peuple, cette armée, Cette foule de rois, ces consuls, ce sénat, Cette pourpre, et cet or... et tout ce que l’imagination, sans trahir la vérité, mais au contraire pour la fixer et pour l’éterniser, ajoute d’elle-même aux choses « qu’on n’a pas vues deux fois... » S’il n’a garde, messieurs, de rejeter l’emploi de l’histoire, il n’est pas homme à dédaigner non plus les conseils des théoriciens, de Corneille même en ses Examens, de son ami Boileau, voire d’un La Mesnar- dière ou d’un abbé d’Aubignac (1). Car, d’abord, il est jeune, il a sa fortune à faire. Il ne croit pas ensuite être le premier qui se soit avisé de raisonner ou de réfléchir sur son art. Et puis, s’ils ne les comprennent pas toujours très bien, ce sont les Grecs, c’est Aristote, c’est aussi Sophocle et Euripide que d’Aubignac ou La Mesnardière se piquent de suivre ; et Racine estime qu’en suivant les Grecs on ne saurait jamais se tromper tout à fait. Aussi, point de révolte en lui contre les règles, ni d’indignation contre le joug des trois unités, par exemple. On demande que l’action soit une, peu chargée de matière, rapide et limpide en son cours elle le sera donc; et qu’elle se renferme dans les vingt- quatre heures, on l’y renfermera; et qu’elle se réduis ou qu’elle se limite à un décor unique, elle s’y limi- tera. C’est qu’après tout, messieurs, (juand on les coa sidère de sang-froid, ces fameuses règles, et du dehors comme quelqu’un ([ui n’aura point à les observer ni i les violer, où tendent-elles, à quelle fin, et croire» vous que Chapelain ou Richelieu, comme on le di quelquefois encore, les aient inventées pour... ennuyt Corneille (2)? Non, sans doute, mais en resserrant drame, en l’obligeant à conrentrer et à presser son i lure, en limitant l’intervention des causes extérieure et en rendant l’action plus <> psychologique » elles ré’ (I) 7,(1 Poéliii^, de Jules de La Mesnardière. Paris, 1640, chez An toinc de Sommaville. C’est à ce livre peu connu, et au surplus lou à fait liifîne do no l’être pas davantage, que Corneille a songé prcsqu aussi souvent qu’il celui de d’.Vubignac, ou écrivant, vers lOliO, te Hxametis de ses pièces. Quant à la l’intique du lluâtre, dont I première édition est do 1657, quoi qu’il soit passé en usage de la r; diculiser, et qu’aussi bien elle le mérite à quelques égards, il fai pourtant savoir que Bacine n’a pas laissé d’en faire industrieuseniei Sun profit. (’2, J’ai plusieurs fois touché cette question des unités, par oxcnipl en traitant ailleurs de VÉvolutiou des genres, et si je n’y ai pas il sistô davantage ici, c’est que Is discn-ssion ciigcniil tout un appare do distimtions, de citations, et do restrictions, pour n’aboutir fluikl mont qu’à un trop iniuco résultat. Je nie bornerai dune à sigaal) trois points : » La question des trois unités s’est posée d’elle-même eo Italii