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M. RAOUL ROSIERES. POURQUOI ON NE LIT PLUS LAMARTINE.

croyons-nous d’insister davantage : qu’il nous suffise seulement, après avoir donné ces indications, de signa- ler aussi chez les devanciers de Lamartine les princi- pales sources de son style, qui garde et gardera toujours dans la suite les mots et les images caractéristiques des derniers poètes du xvm’ siècle, lampleur oratoire et l’abondance d’épithètes de Chateaubriand, la couleuj’ descriptive des poésies ossianiques traduites par Baour- Lorraian, et même, chose incroyable en plein roman- tisme, les périphrases de Delille (1). « Le genre pastoral, le genre descriptif — avait déjà écrit Sénancour dans une note de la préface d’Obermann — ont beaucoup d’ex- pressions rebattues, dont les moins tolérables, à mon avis, sont les figures employées quelques millions de fois et qui, dès la première. alTaiblissent l’objet qu’elles prétendaient agrandir. Vèmail des prés, l’azur des deux, le cristal des eaux, les lis et les roses de son teint, les gages ’« son amour, l’innocence du hameau, des torrents s’échap- pèrent de SCS yeux, contempler les merveilles de la nature, jrter quelques fleurs sur sa tombe et tant d’autres que je ne veux pas condamner exclusivement, mais que j’aime mieux ne pas rencontrer. » S’il y avait à faire aujourd’hui une critique générale du style de Lamar- tine, c’est encore ce jugement antérieur qu’il faudrait porter. Quelques années auparavant, lorsque Lamartine adolescent montrait ses premiers vers au comte de Maistre, le comte disait : « Ce jeune Français a une belle langue pour instrument de ses idées. Nous ver- rons ce qu’il en fera quand l’âge des idées sera venu (2). » Eh bien, au moment des premières Médita- lions, r « âge des idées » n’était pas encore venu pour notre poète. Il restituait en pièces d’or la somme que ses prédécesseurs avaient répandue en gros sous, mais sans l’augmenter d’un centime. Attendons. Peut-être viendi-a-t-il bientôt cet « âge des idées ». Voici paraître les Nouvelles méditations : c’est le chef-d’œuvre du poète. <■ J’étais devenu plus habilearliste, dit-il; je jouaisavec mon instrument (3). » De fait, rien de plus incomparablement beau dans notre langue que ces harmonieuses effusions où, l’es- plcndissantcs et sereines, défilent de strophe en stro- phe les poétiques images comme de blancs chœurs de (1) Ainsi daos les l’iéludei (Secondes méditations), au lieu de dire canon et fusil, il écrira : f Matt ftur le froDt des campi déjà les bronzet grondent : Cet tODoerret loioiains le croisent, le répondenti D«» lube$ fnflamméi la foudre avec eflbtl Sort et frappe en sifflant., s Dans Jocelyn, on lira (2’ ^’poque) : « Ma mèro avec ma sœur est errante xur t’ondf, s Il ne consentira jamais à appeler le rossignol aiitremcnl que l’hilo- tnéle, si ce n’est après son voyage en Orient, Dulbul. (2) Confidencef, liv. XII. S 4. (3) Nouvelltê méditations. Les Préludes, commentairea. prêtresses à travers les colonnades d’un temple an- tique. Mais si le poète a grandi il ne s’est ni élargi ni l’enouvelé. Quatre ou cinq thèmes au plus servent de sujets à ces nouveaux chants — l’amour, la foi, le regret du toit natal, les belles nuits de Naples — et ces thèmes étaient déjà les principaux du précédent re- cueil. Avec les Harmonies, ces « Gloria Palri délayés en deux tomes », comme disait irrévérencieusement Bar- thélémy, il n’a plus consené que la note religieuse et semble être revenu s’enfermer dans l’inspiration du Génie du christianisme. Jocelyn, qu’il donne ensuite, ramène à nouveau tous les motifs des Méditations et des Harmonies autour d’une histoire d’amour qu’elles en- lisent dans leur monotonie. Dans les Recueillements et dans la Chute d’un anye, il ne parvient plus à rien tirer de son immuable fonds d’idées, et ses vers, toujours du même ton, déroulent sur le vide ses métaphores tou- jours de même teinte. — Son œuvre est terminé et r « âge des idées » n’est pas venu. C’est qu’au fond Lamartine devait fatalement de- meurer imperfectible, comme tous les désorientés qui, ayant un autre idéal en tête, n’accomplissent qu’à contre-cœur la vocation à laquelle toutes leurs qualités naturelles les prédestinent. Vous rappelez-vous le por- trait d’un de ses précepteurs, qu’il trace dans les Con- fidences? " L’abbé Duinonl n’avait rien du sacerdoce que le dégoût profond d’un état où on l’avait jeté malgré lui, la veille même du jour où le sacerdoce allait être ruiné en France. Il n’en portait pas même l’habit. Tous ses goûts étaient ceux d’un gentilhomme; toutes SCS habitudes étaient celles d’un militaire; toutes ses manières étaient celles d’un homme du grand monde. Beau de visage, grand de taille, fier d’attitude, grave et mélancolique de physionomie, il parlait à sa mère avec tendresse, au curé avec respect, à nous avec dédain et supériorité (1). » Lamartine se comportait dans la littérature comme l’abbé Dumont dans le sacerdoce. Sa véritable vocation était d’être gentilhomme. Né cent ans plus tôt, il aurait voluiitucu- sement vécu dans ses terres du Maronnais, riche, salué de ses paysans, occupé de l’administration de ses domaines, renommé pour ses largesses, chassant avec ses chiens, et, sur ses vieux jours, membre de r.Vca- démie française, pour quelques petits vers n’-citi-s à Paris dans les nobles salons, ou quelque tragédie sacrée jouée devant la cour par les comédiens ordi- naires du roi. Mais, à présent, le voilà obligé de de- mandera sa plume lafortune et le prestige dont la Révo- lution a dépouillé les genlilshommes. Une telle besogne visiblement lui répugne, comme si, en s’y livrant, il dérogeait. Celte poésie qui le fait si grand, il affecte à tout propos de la mépriser comme un futile passe- temps : « Je n’étais pas auteur, répèle-t-il sur tous les tons, j’étais ce que les modernes appellent un nmaltur; (1) Confidences, V, S ’•■>■