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a réuni en un seul État tous les peuples dont elle était l’héritière. L’Empire fondé par elle, les comprenant tous, est donc un Empire essentiellement méditerranéen[1]. Son unité géographique frappe au premier coup d’œil. Elle fait sa force et lui communique une incomparable beauté. Ses provinces se groupent autour de la mer comme les parterres d’un grand parc autour d’un bassin. Au lieu de les séparer elle les rapproche en les unissant les unes aux autres par une navigation rapide et facile. C’est par elle que s’échangent les produits des climats si divers, mais également fertiles, de ce monde privilégié. Elle joint l’Europe à l’Asie et à l’Afrique, ou plutôt on n’aperçoit pas alors entre l’Asie, l’Europe et l’Afrique cette opposition à laquelle nous sommes depuis si longtemps habitués. L’Orbis Romanus les a liées indissolublement ensemble dans la communauté d’une même civilisation.

Et cette civilisation, c’est dans les régions orientales de la Méditerranée qui en ont été le berceau, qu’elle se développe jusqu’au bout avec le plus de vigueur. Rome n’en est guère que le centre politique et le garant. Grâce à elle, Antioche, Smyrne, Alexandrie et plus tard Constantinople peuvent communiquer en paix à l’Occident leurs industries, leurs philosophies et leurs religions. Qu’il suffise de rappeler ici la diffusion des cultes orientaux et du christianisme.

Or, c’est tout cela, c’est cet équilibre millénaire de notre Europe qui se rompt, non point momentanément, mais pour toujours, lorsqu’apparaît l’Empire carolingien. On dirait qu’un cataclysme a brusquement déplacé l’axe du monde. Depuis soixante siècles, il se trouvait au sud du continent, et le voilà fixé au nord. Des pays et des peuples qui depuis toujours avaient été confinés dans la barbarie ou qui en sortaient à peine, se trouvent appelés tout à coup au premier rang. L’Orient et l’Occident sont séparés l’un de l’autre. La navigation méditerranéenne n’atteint plus les rivages de la Gaule, et sa disparition y entraîne celle du

  1. Il est sans doute inutile de faire remarquer que l’Empire n’a étendu au nord sa frontière jusqu’au Rhin que pour protéger, comme par un glacis, le bassin de la Méditerranée.