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Mahomet et Charlemagne[1]


La fin du viiie siècle de notre ère a vu se réaliser dans l’Europe Occidentale un état de choses sans précédent. Pour la première fois depuis l’aurore des temps historiques, le foyer, non seulement du mouvement politique, mais du mouvement général de la civilisation, s’y est transporté du bassin de la Méditerranée dans celui de la mer du Nord. Le pivot de l’Empire romain était en Italie ; celui de l’Empire carolingien est situé dans la région comprise entre le Rhin et la Seine. Les Morins qui, durant tant de siècles, perdus à l’extrême pointe septentrionale du monde civilisé, avaient passé pour les extremi hominum, occupent désormais une situation centrale, et c’est Rome qui se trouve maintenant reléguée et comme jetée en flèche à la frontière de l’Europe nouvelle.

On n’a peut-être pas suffisamment réfléchi à l’importance de cette transformation. Y étant accoutumés depuis un millier d’années, nous ne nous avisons pas suffisamment de ce qu’elle présente d’extraordinaire et presque de monstrueux ou du moins d’anormal. Jusqu’alors, en effet, la civilisation européenne s’est élaborée aux bords de la Méditerranée par le travail successif ou simultané de l’Égypte, de la Syrie, de la Phénicie, de la Grèce et de Rome. Celle-ci, la dernière ouvrière de l’œuvre admirable,

  1. Les pages suivantes exposent d’une manière évidemment beaucoup trop sommaire une idée qui a paru intéressante à des historiens auxquels j’ai eu l’occasion de la faire connaître. Il m’est impossible de lui donner ici les développements qu’elle comporte. Je me suis borné à en marquer les traits principaux et surtout à déterminer clairement le point de vue d’où elle apparaît.