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sonorité, se glisse, sotto voce dans un murmure… Et quelles tendres confidences dans l’Andante de la Sonate en ut majeur C (do — do si ré do mi ré fa mi sol fa la). p. 244, à la fin de la première reprise, après que les appogiatures de la main droite et celles de la main gauche ont si curieusement soupiré à contretemps ! L’Allegro de la Sonate en fa C barré (Do — si la sol fa la sol si mi fa), est une bien amusante saynète à deux personnages, Soprano et Baryton. Mais réservons-la pour plus tard : elle en vaut la peine. Retenez toujours Mozart pour la comédie de salon…

Je ne me moque pas ! C’est très difficile la Comédie de salon. Il faut être remarquablement intelligent pour n’y avoir pas simplement l’air bête… Il faut un art très subtil pour moduler avec justesse un couplet de Meilhac, de Musset, de Marivaux, de Racine. Passer par toutes les nuances du prisme sentimental en une série d’insensibles et cependant rapides dégradations, cela veut une fine psychologie et une mobilité d’âme et de voix très sûre. Là encore Mozart est maître. Voyez plutôt Sonate en ut majeur 2/4 (sol sol — fa mi mi ré do si do), premier mouvement, groupe du Développement, à partir de la deuxième ligne, p. 24. Autre exemple de cette plasticité sentimentale, le Rondo de la Sonate Facile, ou encore, dans la Sonate en ut citée plus haut (Andante, 2e reprise), les alternances si expressives de f et de p, qui donnent à ces simples dessins de triolets un air de si gentille câlinerie.

La grâce câline et quasi triste ! Il l’a aussi ce gai Mozart, et ce pur mélodiste ne laisse pas d’être parfois troublé d’émois dont son âme n’est point seule à goûter les douceurs. Il a, sans jamais trahir les Grâces, écouté parfois les Sirènes. Comme dans la fraîche adolescence du printemps passe en souffles la volupté de la saison, parfois des langueurs, chez Mozart, s’énervent. « Andante amoroso », porte quelque part[1] l’édition Peters. Litolf inscrit seulement : Andante. Qu’il a raison ! et que cet amoroso est donc inutile ! Écoutez qui descendent des clartés cristallines du haut clavier, pour plonger langoureusement au plus grave de la sonorité, ces tierces fidèles et abandonnées au lourd désir qui les entraîne. Sentez bien comme se gonfle de sonorité et d’émotion ce dessin qui va descendant et pourtant crescendo. Entendez la force de ses graves octaves. Prêtez l’oreille à ce syncopé de l’Alto, qui rompt si exquisement cette longue ligne, craint de se laisser davantage entraîner et, decrescendo, remonte avec la voix supérieure, par mouvement contraire à la basse, si gracieusement. Ô Clara d’Ellébeuse, petite créole virginale et passionnée, il n’avait pourtant point votre sang, ce blondin de Salzbourg ! Il est vrai qu’il rêvait d’être brun[2], et qu’il était trop musicien pour n’être point un peu sensuel, ou au moins sentir en sensuel le charme des sons harmonieusement unis. Remarquez bien que ce départ d’Andante est la chose du monde la plus classique, la plus simple : deux gammes diatoniques descendantes (de si à si pour le soprano, de mi à mi pour le baryton) des tierces, des sixtes, un retard, un mouvement contraire, et le charme a opéré. Il faut être un dieu pour être ainsi adorable !

Vous avez certainement joué, et rejoué la sonate en la majeur, sur le thème de laquelle on a si étonnamment (et à contre-rythme) adapté un Tantum ergo. Reportez-vous, je vous prie, au Menuet. Si vous en jouez le Trio comme un cantique de Première Communion, je crois que je puis oser dire que vous l’entendez mal.

  1. P. 256. Andante en Mi 3/8 de la Sonate en Si 2/4, (Si, — do ré si la do si la mi do).
  2. Lettre du père de Mozart, Naples, 29 mai 1770 : « Quoique la chaleur ne soit pas très forte en ce moment, nous arriverons passablement brunis à Salzbourg ; le grand air seul suffirait. Tu sais que Wolfgang a toujours désiré être brun ».