Page:Revue Musicale de Lyon 1905-01-08.pdf/2

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
134
revue musicale de lyon

Amusez-vous aussi à rapprocher du petit Berger de Mireille, dont vous aimez sûrement la chanson, la première page de l’Andante de la Sonate Facile. Il ne faut pas mépriser chez Mozart ce dont vous raffolez chez Gounod. Gounod, que vous n’avez pas tort d’aimer, vénérait Bach et chérissait Mozart : il lui sera beaucoup pardonné.

Ce charme naïf de l’enfant, si clair et si mystérieux, l’enfance des peuples le possède. Il fait l’éternelle fraîcheur de ces primitives mélodies populaires que nos compositeurs ne se contenteraient point d’emprunter et d’exploiter, s’ils en savaient créer de toutes neuves qui les vaillent. Or, ces chansons dansantes, dont la gaieté fraîche et jeune sonne si claire et si légère, elles jaillissaient, comme d’une source, de l’âme étonnamment vivace de Mozart. Y a-t-il des Rondos plus heureux que les siens ? des allegrettos où folâtrent plus gracieusement les agneaux capricieux de nos gaietés ? Mais y eut-il jamais un petit être plus exubérant de la joie de vivre que cet enfant surmené et toujours dispos, toujours gai, alerte, endiablé ? Lisez ses lettres[1]. Elles étincellent de vivacité. Voyez par exemple ces pétulants post-scriptum aux honnêtes épîtres de son père : « Et moi aussi je vis encore, gai et content comme toujours. » (Lettre du 16 juin 1770). « Je vis toujours, toujours gai » (21 août 1770). Ah ! il n’était pas neurasthénique celui-là ! Êtes-vous neurasthénique ? Jouez chaque jour, matin et soir, l’Allegretto de la sonate en maj. 6/8 (p. 208).

Cette surabondance de sève, cette exultation, cette pétulance, cette alacrité, nous savons qu’elles faisaient de Mozart un virtuose prestigieux et qui électrisait une salle. Retrouvons-les dans la vivacité si frémissante du Presto de la Sonate en la mineur (p. 114), dans l’animation un peu fantasque du premier mouvement de la Sonate en si 2/4 (p. 250), dans tant de Codas enlevantes, dans tant de ces riches et brillants crescendos, que Rossini n’a point inventés, et dont je ne vous signale qu’un exemple, dans l’Allegretto de la sonate en si C. (sol fa mi ré do si si) (p. 71), avant la Cadenza in Tempo. (Voir du même coup la page suivante.)

Tant que vous tenez cette Sonate, reportez-vous à l’Allegro initial (p. 54). Est-il rien de plus aimable que ce début ? quelle bonne grâce, quelle aménité souriante et sérieuse dans cette phrase d’affable accueil ! Et, dans le dessin d’accompagnement, quelle aisance souple et, avec la plus parfaite simplicité, quelle dignité de tenu ! Il faut bien, pour traduire par le langage ses impressions musicales, les transposer, et même il peut n’être pas mauvais (sauf abus) de voir dans la musique drames ou comédies, idylles ou même bouffonneries. Qui ne voit, comme s’il les voyait de ses yeux, les moines grotesques évoqués par d’Indy dans Wallenstein ? Telle Sonate de Beethoven est une lutte de deux thèmes géants. Pascal a écrit : « Rien ne fait mieux entendre combien un faux sonnet est ridicule que d’en considérer la nature et le modèle et de s’imaginer ensuite une femme ou une maison faite sur ce modèle là. » Pour en revenir à notre Mozart, je ne connais donc pas de plus honnête et charmante femme que cette phrase là.

D’autres sont coquettes, délicieusement. Comment les jeunes filles n’adorent-elles pas Mozart ? Dans la deuxième reprise de l’Allegretto de la Sonate en ut majeur 2/4 (sol sol — fa mi mi ré do si do), p. 32, il y a des minauderies charmantes, un aveu qui se dérobe, s’échappe, se reprend, se débat, cède enfin et après quelques soupirs, exhalés pp sur des accords pleins et serrés qui étouffent la

  1. Publiées par l’abbé Goschler sous le titre : Mozart, Vie d’un artiste chrétien au xviiie Siècle, extraite de sa correspondance authentique, traduite et publiée pour la première fois en français (Paris, Douniol, 1857, in-12. Épuisé).