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L’ÉTRANGER

Annoncé par M. Mondaud en 1902, dès la première année de la régie municipale des théâtres, l’Étranger de Vincent d’Indy vient enfin, le 29 décembre, de faire son apparition sur notre scène lyonnaise.

Nous arrivons un peu tard, deux années après sa création à la Monnaie de Bruxelles (7 janvier 1903), pour découvrir l’Étranger qui fut, comme toutes les œuvres nouvelles et neuves, l’objet de commentaires innombrables et de discussions passionnées. Aussi ne dirai-je rien du drame, imaginé par Vincent d’Indy, drame que je ne comprends guère, ni de l’idée philosophique qui s’en dégage ; l’étude parue ici même a résumé suffisamment la question et d’autre part, je crois un peu inutile et vaine l’exégèse à laquelle d’excellents musicographes se sont livrés[1].

Pourtant il est difficile de ne pas noter, après tant d’autres, l’impression pénible que produit sur la majorité des auditeurs le choc incessant dans le drame entre la légende et la réalité. La précieuse émeraude qui brille au bonnet de l’Étranger et qui, d’après certains commentateurs serait, en quelque sorte, la cristallisation de la grâce sanctifiante (?), détonne dans le milieu contemporain des pêcheurs français où l’on paraît se soucier moins de questions métaphysiques que du prix du poisson et de l’avancement d’un sous-officier gabelou. Et aussi cette intervention bien inutile de la pierre miraculeuse paraît enfantine et même un peu ridicule à ceux qui ne possède pas la mentalité catholique de Vincent d’Indy.

Ces considérations ne nous empêchent pas d’admirer la vie intense que le compositeur librettiste a su insuffler à ses héros, la netteté du dessin de leurs caractères et le relief avec lequel il a campé ses personnages ; débarrassé de sa partie symbolique, le drame reste très vécu, très humain, et est heureusement traduit dans une prose rythmée étonnamment vigoureuse.

Si le drame a été, sur plus d’un point, fortement critiqué, chacun a reconnu la beauté souveraine de la nouvelle partition de Vincent d’Indy. J’ai parcouru une bonne partie des articles consacrés à l’Étranger lors des représentations à Bruxelles et à Paris et j’ai pu constater que, sauf dans la Fédération artistique de Bruxelles, organe de toutes les réactions et dans le Ménestrel dont le rédacteur en chef, M. Arthur Pougin, n’a voulu voir dans la musique de d’Indy autre chose que « le triomphe de l’enharmonie », tous les critiques ont constaté la maîtrise du compositeur et les progrès réalisés par lui depuis sa dernière œuvre dramatique, Fervaal.

Après tant d’articles et surtout après le remarquable compte rendu que vient de publier dans l’Express républicain, mon ami, le Dr Mathieu, il reste peu de choses à dire. Pourtant, il est un fait curieux et paradoxal qui n’a pas, je crois, été noté jusqu’à présent : Je veux dire que la nouveauté de l’Étranger, constatée et célébrée par tous, est caractérisée essentiellement par un retour en arrière de près de trois siècles, retour très net, très accentué et très intentionnel.

Vincent d’Indy, dans sa nouvelle œuvre, semble vouloir oublier les réformes de la Renaissance tant fêtée et qui fut, pour la musique, regrettable à plus d’un point de vue, faire table rase des faux principes érigés par les théoriciens du xviie siècle et continuer directement, après 300 ans, sans négliger pourtant les progrès apportés par les génies intermédiaires, la tradition des Goudimel, des Vittoria, des Roland de Lassus et des Palestrina, maîtres incomparables de cette merveilleuse école polyphonique de xve et xvie siècles à qui nous devons tant de chefs-d’œuvre longtemps oubliés.

Nous trouvons, en effet, dans la musique de l’Étranger tous les éléments totaux, rythmiques et harmoniques qui caractérisent le motet de l’école Palestrinienne.

Tout d’abord, nous remarquons ici l’aban-

  1. C. f. articles de M. de la Laurencie et de notre collaborateur Calvocoressi parus dans différentes revues belges : Durendal, Art moderne
    M. Vincent d’Indy me confiait dernièrement l’intérêt avec lequel il avait lu telle étude sur son œuvre dans laquelle un commentateur avait trouvé, disait-il, des choses fort curieuses auxquelles lui-même n’avait jamais songé.