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assez hardis pour vouloir vivre libres et découvrir un monde inexploré ?

Voilà déjà longtemps que les magnificences quelques peu plébéiennes de l’œuvre immortelle de Bizet ont enchanté toutes les âmes. Mais l’unanime admiration qui fleurit maintenant autour de Carmen manque encore à l’esprit de vie qui l’a produit. On admet l’un sans avoir compris l’autre. Tant nos théoriciens à courte vue répugneront toujours aux manifestations nouvelles de l’art libre et vraiment humain !

Pourquoi refuser d’écouter la grande leçon de fantaisie et de tragique sincérité qui se dégage de Carmen ? Eternellement nous y trouverons un réconfort pour nous engager plus avant dans la voie d’une inspiration plus fraternelle, et toujours plus proche du peuple. Ce n’est pas faussement que nous revendiquerons Bizet parmi les prophètes ingénus de notre action vers la beauté enfin charitable.

Pour éveiller la joie, la plainte et la crainte dans nos cœurs, il n’a pas eu besoin d’évoquer de grandes choses et des événements étranges ; il ne lui a pas été nécessaire de recourir à des prodiges, ni d’exposer à nos regards des apparitions sanglantes de fantômes ni de faire rougeoyer des tonnerres dans la nuit. Il ne s’est pas non plus soucié d’attirer sur la scène des héros merveilleux — casqués de fer blanc ! — parmi des paysages d’Olympe ou de Vénusberg perçant les ténèbres de leurs sommets enchantés. Il lui a suffit d’animer le conte — assurément bien trivial ? — d’une femme un peu fantasque et d’un homme un peu fou, que séduit misérablement l’amour de leur corps, et qui vont aveuglés pour tout, sauf pour eux-mêmes.

Rien de plus banal, n’est-ce pas ? pourtant un tel drame répond entièrement à notre soif de beauté. Au lieu d’écraser l’homme d’un spectacle héroïque il le révèle dans la misère de ses instincts chavirants ; il le montre agité des orages intérieurs, sous l’empire des passions qu’il nourrit de son propre sang, comme un esclave qui se voue à son maître et périt pour lui, en le louant quand même. Il le peint enfin tel qu’il est, noble et lamentable, vantard, débile, ingrat, sans constance, brutal, sans énergie et surtout toujours mobile. Voilà pourquoi il nous émeut, nous charme, sans nous laisser comme d’autres œuvres terrassés ou étonnés.

Irons-nous jamais assez loin dans la recherche du naturel et de la simplicité ! Ce qui subsiste encore dans la splendide Carmen du faux brillant romantique il importe que le drame moderne parvienne à l’éliminer. Les moindres événements de la vie journalière, si on les éclaire d’une lumière profonde, sont d’une beauté naïve, conseillère de tendresse. Deux amants malheureux que sépare la destinée : éternel sujet des poèmes les plus parfaits ! Dans le futur théâtre du peuple, dont rêvent depuis cent ans tous les esprits noblement généreux — que peut-être Albert Carré avec l’aide de M. Chautard va pouvoir offrir à nos espérances, — il faudra des tragédies pures de ligne, grouillante de vie, et se déroulant sans aucun miracle entre des personnages vrais, comme l’homme qui passe le long de la route, ou le pêcheur que j’aperçois poussant sa barque près de la plage, vers les rochers rouges de l’île d’Or.

Gustave Charpentier.

Concerts de la Revue Musicale

Comme nous l’avons déjà annoncé, nous organiserons, dans le courant de la saison, plusieurs concerts sur invitation réservés aux abonnés de la Revue Musicale de Lyon. Ces concerts seront consacrés principalement à l’audition d’œuvres modernes inédites ou peu connues.

Le premier concert aura lieu à la fin du mois de janvier.