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revue musicale de lyon

Je viens (avec quelle joie sans cesse avivée de délicieuses surprises !) de refaire cette étude, dans l’intention de vous en communiquer ici les résultats généraux et quelques traits caractéristiques. Si vous voulez bien prendre la peine d’aller d’abord chercher votre partition des Sonates, de l’ouvrir à côté de cette Revue et d’y chercher au fur et à mesure les passages que je signalerai, j’ose penser que nous n’aurons fait, ni vous ni moi une besogne vaine[1].

(À suivre.)

André Lambinet.

Le Symbolisme de Bach

Sous ce titre, la Revue germanique[2] publie dans son premier numéro un article dont l’auteur, M. Albert Schweitzer, prépare depuis plusieurs années un vaste travail sur l’œuvre de Bach : ce sont les idées maîtresses de la quatrième partie de cette étude d’ensemble, « le langage musical de Bach », qui se trouvent exposées dans l’article de la Revue germanique. Une véritable révélation s’y affirme, que beaucoup de musiciens jugeront paradoxale au premier abord, inadmissible et absurde, mais que la démonstration de l’auteur ne manquera pas de faire accepter aux lecteurs attentifs.

Les formes musicales dont se sert le maître saxon ne sont-elle que des combinaisons sonores, le déroulement intarissable de lignes mélodiques qui trouvent en elles-mêmes leur beauté et leur raison d’être, une sorte de géniale vivification des procédés d’écriture dont s’étaient servis les anciens contrapuntistes ? La plupart des éxégètes de Bach l’ont cru et l’ont dit ; et lorsqu’apparaissait visiblement, dans son œuvre, un souci descriptif, comme dans le Capriccio, ils passaient condamnation sur cette apparente anomalie. Spitta écrit, par exemple : « Des traits de ce genre sont des badinages d’une humeur passagère, et leur présence ou leur absence ne change rien à la valeur ou à la signification du morceau. »

Or, M. Schweitzer démontre que ce qui était réputé « puérilité » ou « accident » constitue en réalité le tréfonds de l’inspiration musicale de Bach. Ce musicien est un peintre, dont les thèmes sont déterminés par une association d’idées, et « son langage musical est le plus développé et le plus précis qui existe ». Dans ses chorals, dans ses cantates, partout où son texte lui fournit une indication où puisse s’accrocher une idée descriptive, il laisse déterminer par cette indication le caractère de sa mélodie ou de son accompagnement ; quand les paroles dont défaut, une suggestion analogue s’opère, grâce à des associations d’idées plus ou moins prochaines. Et c’est ainsi que dans son œuvre rien n’est laissé à l’arbitraire : le fleuve ondoyant, les feuilles qui tombent l’âme qui s’élance, le Saint-Esprit qui plane, fournissent un motif descriptif qui communique au morceau son allure et son rythme ; et même de moins évidentes évocations, Satan qui rampe, le fiancé des vierges folles qu’accompagne un cortège dansant, la défaillance ou le soupir d’une âme accablée, doivent à d’inconscientes images la nature des thèmes qui les expriment…

Qui ne voit à quel abus dans l’ingéniosité des interprétations pourrait entraîner cette théorie, si elle était appliquée par des commentateurs maladroits ou insuffisamment préparés ? Au contraire, maniée par un mu-

  1. Les divergences des éditions sont un grand embarras. Impossible de donner un numéro d’œuvre ni un numéro d’ordre. Je désignerai, comme Mozart dans son catalogue, les Sonates citées par la tonalité et la mesure du premier « mouvement » : Ex. Sonate en majeur 6/8. Au besoins j’écrirai les premières notes du thème initial : Ex. Sonate en si bémol majeur C, sol fa mi ré do si si. — Pour éviter tout malentendu, je rappelle qu’un premier « mouvement » ou « temps » de Sonate est composé classiquement de 3 parties, ou « groupes » : 1o Exposition des idées (a) thème initial ; b) transition, amenant la cadence à la dominante ; c) thème chantant ; d) cadence) ; 2o développement ou « travail » thématique ; 3o répétition du groupe d’Exposition, sans modulation à la dominante et avec coda finale.
    Les indications de page se réfèrent à l’édition Peters.
  2. Félix Alcan, éditeur, Paris.