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revue musicale de lyon

Le « Roland de Berlin »
et la Presse de Berlin

Après la bruyante et impériale parade conviant le tout Berlin au très grand honneur de la première de Roland de Berlin[1], la très curieuse revue de la presse berlinoise que nous faisons ci-dessous, en démontrant l’absolue indépendance et la pleine liberté de la critique, dévoilera aussi le fiasco complet du drame hohenzollernien ordonné par Guillaume ii, revu souvent corrigé par un collaborateur aussi impérial que tyranique, et mis en musique par le maëstro Leoncavallo, auteur des Paillasses, choisi entre tous par l’empereur allemand, maître expert sur tous les tréteaux.

Le jugement de la presse est aussi sévère et dur pour le drame que pour la musique. Le maëstro aux fortes moustaches brunes s’en consolera avec les flatteries et caresses impériales, royales, etc., un collier de la couronne de Prusse au cou, et un éditeur aussi puissant qu’habile ; tandis que l’inspirateur aux moustaches en croc, déjà blagué pour son Hymne à Abgir, regarde avec amertume vers l’est, vers ce doux pays de Moscovie où la censure sait si bien transformer les plus cruelles défaites en triomphantes victoires !

La Vossische Zeitung : L’opéra du maëstro italiano a réussi comme pièce à grand spectacle. Leoncavallo a été très habile dans la préparation et l’ordonnance des effets. Le drame est trop écourté, aussi les épisodes en sont très faibles et l’intérêt dramatique se soutient à peine.

Le Tageblatt appuie aussi sur l’extrême faiblesse du drame, ajoutant que seul un génie aurait pu le vivifier et que Leoncavallo ne possède qu’un peu d’ingéniosité. Connaissant la technique musicale, ayant une agréable facilité dans certaines parties mélodiques, il lui manque la faculté de composer avec grandeur et noblesse. Aussi, la symphonie, quoi que bien écrite, rappelle les modèles les plus banals du genre. Il faut souhaiter au maëstro de retourner au plus tôt à des sujets moins écrasants et plus proches de son talent.

Le Lokal Anzeiger : La trame de l’opéra était incapable de servir de base à un mélodrame intéressant. Mais Leoncavallo a su créer certains effets nouveaux et quelques épisodes dramatiques, en tirant des faits de l’histoire locale berlinoise un drame de tous les temps, de tous les pays et en l’ornant de notables reflets lyriques. La musique est particulièrement mélodique, avec de nombreuses réminiscences et d’évidentes analogies avec Siegfried ; la note sentimentale plus modernisée que héroïque domine l’œuvre entière.

La Zeitung trouve que Leoncavallo a cherché inutilement à se pénétrer du caractère allemand, toute sa personnalité s’y opposait ; on ne peut donc pas lui en vouloir s’il n’a pas réussi ? La musique continue celle des Pagliacci avec de légères tendances wagnériennes.

Le Kleine Journal : Les détails sont bons mais le drame fait absolument défaut ; comme italien Leoncavallo ne pouvait en comprendre l’esprit ; la partition contient de la musique correcte.

La Morgen Post : L’exécution de l’opéra a démenti les prévisions pessimistes, ce fut un bon succès. La composition musicale n’est point extraordinaire, mais agréable, sincère ; sa technique est très supérieure au livret. Il y a plus de force et de vie dans un seul acte du Roland que dans tous les opéras allemands modernes.

Les Neueste Nachrichten : R. Wagner seul a réussi dans les Maîtres Chanteurs à interpréter musicalement l’histoire ; Leoncavallo n’a pu qu’enguirlander de cantilènes italiennes les types historiques du Roland, réussissant seulement les ballabili (Ballets) rappelant ses chers Pagliacci.

Le Volks Zeitung se déclare satisfait des passages joyeux mais déclare que le maëstro manque absolument de tragique et de grandeur.

La National Zeitung conclut en disant que le Roland ne vaut pas certes les Paillasses mais qu’il renferme tant de gros effets de

  1. La première représentation de Roland de Berlin, commandé et inspiré par l’empereur Guillaume ii, il y a une dizaine d’années à M. Léoncavallo a eu lieu le mardi 13 décembre à l’Opéra Royal de Berlin.