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d’un sujet, de le munir préalablement d’un appareil enregistreur, sphygmographe ou sphygmomanomètre, et de lui faire entendre une œuvre musicale qui, d’ailleurs, pourra varier. On constatera ainsi l’accélération du pouls ou l’augmentation de la pression artérielle sous l’influence de l’émotion artistique. Mais il ne faut pas se dissimuler un instant que le fait de porter au poignet un mécanisme hétéroclite absorbera une telle part de l’attention du sujet, déjà porté, s’il se sait en expérience, à pulvériser ses impressions pour en pratiquer l’examen introspectif, que les pages les plus troublantes lui resteront lettre morte, et que le duo même de Tristan perdra son habituel effet congestif et vasomoteur. Les sensations que l’on autopsie ne sont que des cadavres de sensation.

Tout au plus serait-il possible d’étudier, à l’insu de l’expérimenté, les modifications du rythme respiratoire. Il suffirait, connaissant le nombre d’inspirations normal pour un sujet donné, d’en noter l’accroissement pendant l’audition d’une œuvre déterminée servant d’étalon constant. Mais, dans ces conditions même, l’équation comporterait trop de variables. Des influences, les unes morales (souvenirs se rattachant à la mélodie entendue, coexistence de chagrins ou de joies), les autres physiologiques (température, somnolence, état de la digestion) altèrent les résultats de l’expérience, au point d’annuler les effets produits par la cause étudiée. Quel est le musicien ou le critique qui ne s’est rendu compte vingt fois sur lui-même, qu’il y a dans la vie des heures mauvaises où la valse la plus sinistrement banale est plus congruente à notre tournure d’esprit que les divines harmonies du réveil de la Walküre, ou les sacro-saintes dissonances de Pelléas. Et qui donc ne devrait, en s’interrogeant sérieusement, avouer que le maximum d’impression musicale ressentie, se rattache à une romance encadrée d’un cortège de souvenirs troublants, plutôt qu’aux pages les plus définitives d’un maître incontesté ? Il y a là toute une série d’inexprimables nuances ; une sèche formule n’est point le langage qui sied pour les traduire.

Ces dernières constatations altèrent inéluctablement, et dans une proportion énorme, l’importance qu’il faut attacher, actuellement du moins, à la schématisation mathématique de l’intelligence : mais les résultats acquis n’en sont pas moins intéressants.

Il nous est possible de connaître d’une façon précise, ou peu s’en faut, le degré particulier d’acuité auditive, de justesse d’oreille, de mémoire musicale d’un sujet. Et c’est là tout justement le substratum et la base de l’intellectualité plus particulièrement musicale. Nous saurons donc si tel individu a, plus que la moyenne, des dispositions artistiques. D’autres tests, nous l’avons vu, permettent d’affirmer le degré de culture musicale. Mais là s’arrêtent nos efforts. Et ce ne serait pas le moins curieux résultat d’une enquête sur les hommes de génie, qui ont illustré l’Art contemporain, que de constater que certains d’entre eux n’ont peut-être pas un développement considérable des facultés inférieures. Les constatations faites par Toulouse et son école, dans le monde des littérateurs, permettent de s’attendre à de telles surprises.

Quelles que soient encore les lacunes que présente la psychologie expérimentale, il reste permis d’espérer qu’avec le progrès d’une science née d’hier, et bégayante encore, on verra se réduire le terrain de ce qui semble encore l’irréductible, et que des investigations chaque jours plus audacieuses, viendront nous livrer le secret de ce qui constitue pour notre art un homme supérieur. Mais