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et Capet, violoniste, ont présenté ces belles compositions à un public trié, composé de dilettantes, abonnés fidèles, et de l’élite des professionnels de notre ville.

La sonate en ut mineur (op. 30 no 2) est la plus belle que Beethoven ait écrite pour piano et violon[1]. C’est une de ces productions capitales qui font époque dans l’art. Elle est parcourue d’un bout à l’autre par un intense sentiment de poignante douleur. De Lenz, un Russe qui écrivait en 1852 dans notre langue, alors la plus répandue, parle de l’adagio de cette sonate dans les termes suivants : « C’est une incomparable scène et aria pour piano et violon, le plus beau morceau de Beethoven en la bémol, tonalité qu’il n’affectionna point. Cet adagio est monumental, les deux instruments y sont traités avec un art merveilleux ; ils ne font qu’un. L’expression en est élégiaque ; c’est plus qu’une Didone abandonata. C’est un mausolée qui a eu raison des bonheurs de la terre (adagio di sepolcro). »

L’exécution que nous ont donnée de ce chef-d’œuvre MM. De Greef et Capet eût incontestablement satisfait Beethoven lui-même.

Peut-être le Maître aurait-il trouvé que M. Capet n’avait pas apporté assez d’emportement douloureux dans la terminaison du finale. Cette minime restriction faite, il eût hautement loué ces deux artistes hors de pair d’avoir si pleinement rendu sa pensée et son sentiment.

Après cette sonate, M. Capet, fort bien accompagné par Mlle Rabut, a su, dans trois pièces intelligemment choisies, faire ressortir les aspects variés de son talent. Il a été plein de tendresse et de langueur dans la Romance de Sinding, poétique et rêveur dans le Soir de Schumann, exubérant de verve, de coloris et de fantaisie dans le Rondo Capricioso de Saint-Saëns.

Rappelé avec instances, il a dit l’Aria de Bach. Cette grandiose page, que de fois violonistes et violoncellistes nous l’ont servie ! Jamais nous ne l’avions entendue avec une telle largeur de style, une sonorité si pleine et si ample. M. Capet est un violoniste de grande envergure.

Nous connaissons déjà, pour l’avoir appréciée deux fois aux concerts de musique classique, la superbe maîtrise de M. de Greef. Lundi soir il a été supérieur à lui-même. La romantique Étude de concert, de Liszt, les élégantes et onduleuses Arabesques de Schuman, les admirables Variations de Saint-Saëns, sur des airs de ballet d’Alceste, ont été pour lui l’occasion d’un véritable triomphe. De la meilleure grâce du monde il ajouta au programme un Caprice et pastorale de Scarlatti et prit la peine d’annoncer au public le titre de ce morceau supplémentaire. « C’est par égard pour les critiques, s’est exclamé un de mes voisins, il peut leur éviter une confusion fâcheuse. » Cette réflexion n’est que trop juste. J’avoue en toute humilité que j’ignorais cette exquise pièce de Scarlatti. Si je l’avais attribuée, au petit bonheur, à Mozart, Weber, Vincent d’Indy, ou Claude Debussy, quelle gaffe !

La sonate en mineur de Saint-Saëns pour piano et violon demeure, en dépit d’un musicographe distingué, l’une des plus belles du répertoire moderne.

Jamais elle n’avait été jouée à Lyon avec une telle perfection. Elle a produit une grande impression.

Les violonistes ont admiré la légèreté du staccato, et le brillant du détaché perlé de M. Capet ; les pianistes l’impeccable précision l’étourdissante vélocité, la variété et la richesse de nuances du jeu de M. De Greef.

MM. Capet et De Greef sont de très habiles virtuoses. Leur virtuosité est pour eux un outil d’une rare perfection qui ne leur sert qu’à mieux rendre l’idée et le sentiment des belles œuvres. Ce sont donc de grands artistes.

P. F.

Concert Marzo-Paganetti

M. Charles Paganetti dont nous applaudimes jadis, à notre Conservatoire, la précoce virtuosité, a tenu ses promesses d’autrefois et, si nous n’avons par remarqué chez lui d’extraordinaires qualités de mécanisme et de brio, nous avons du moins goûté la grande aisance de son coup d’archet et la sobriété

  1. Cf. L’étude analytique de cette sonate publiée, l’hiver dernier, dans la Revue Musicale de Lyon (no 18, 17 février 1904, p. 206-209).