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de laine et entonne le De Profundis auquel pieusement répond la foule. Lentement le rideau se ferme tandis que au milieu du frémissement des harpes en son harmoniques s’affirme une dernière fois, avec les altos et les violoncelles, le thème de Charité joint à celui de l’Emeraude sacrée.

(À suivre)

Paul Leriche.

« Tristan et Isolde » à l’Opéra

Mercredi dernier, quarante-quatre ans après avoir joué Tannhæuser et quarante ans après la première de Tristan et Isolde à Munich, l’Opéra vient enfin de représenter le chef-d’œuvre de Wagner que nous avons eu la joie d’applaudir en 1900 au Grand-Théâtre[1]. Et il ne semble pas, d’après la lecture des journaux parisiens, que l’ensemble de la représentation ait été des plus satisfaisants.

L’impression générale nous paraît être très bien traduite par un wagnérisme que M. Léon Kerst, dans son compte-rendu du Petit Journal, met en scène et dont il reproduit les réflexions suivantes :

« Voici donc Tristan exécuté à l’Opéra (et il y avait comme une malice dans l’appui qu’il donna au mot « exécuté » ). La représentation en a été moyenne, douce, calme, honnête et bien sage ; encore que tout le monde se soit donné beaucoup de mal, ce ne fut pas excessivement intéressant… Il n’y a plus à apprendre à personne que Tristan n’est pas seulement un drame passionnel, mais que c’est la Passion elle-même ; or, à l’Opéra ce n’est ni passionnel ni passionné, et la soirée s’écoule à attendre continuellement une explosion d’amour qui jamais ne se produit ; à la sortie, on emporte cette impression, au moins bizarre en une telle occurence, qu’il pourrait bien avoir de tout dans Tristan, excepté de la passion !

Quelle singulière façon d’interpréter le fameux « perpétuel devenir » de Wagner cette théorie démontrée qui veut que, en passion, après u degré franchi, il y en ait aussitôt un autre auquel on désire atteindre, et, après celui-là, encore un autre, encore et toujours, plus haut, plus loin… jusqu’au néant définitif, jusqu’à l’inconnu noir où l’on n’accède qu’après toujours plus de souffrance… Toute cette formidable ascension, est réalisée dans Tristan par le génie de Wagner ; seulement, et, pour la traduire, il faudrait commencer par s’en être aperçu.

« L’art de ta mère a tout prévu », dit Brangaëne à Isolde. L’art de Wagner aussi ; d’où l’absolue certitude qui se dégage de ses œuvres, et c’est cette certitude qu’il s’agit de faire passer dans l’âme de l’auditeur. Une seule interprète nous la donne pleinement : Mlle Louise Grandjean, qui revient de Bayreuth où elle est allée quérir la bonne parole, auprès de Richter et des autres maîtres en l’art de Wagner. Mais, depuis quand une seule interprète peut-elle suffire à résumer l’expression d’une œuvre où le moindre rôle, le moindre accessoire, le moindre jeu de lumière même, doivent contribuer à former ce tout complet, absolument indispensable à la représentation wagnérienne ?

Sur cette question il y aurait beaucoup à dire, ceci par exemple, qui est essentiel : c’est que, pour donner aux spectateurs l’impression du rêve, il est nécessaire que la mise en scène soit en quelque sorte irréelle, que, seuls les personnages agissants retiennent l’attention, alors que les non agissants, semblent s’effacer et comme disparaître. Sur cette immense scène de l’Opéra, infiniment trop large, l’effet est irréalisable. Avant tout il faut la meubler — comme si on meublait Wagner !

J’ai dit, tout à l’heure, que Mlle Grandjean était seule à détenir le secret de la véritable interprétation wagnérienne. Il ne lui suffit pas d’être parfaite tragédienne et de se montrer musicienne irréprochablement précise, elle chante par surcroît — car on peut, et même on doit chanter la musique de Wagner ; ce qu’on ne fait guère. — Le chant, si soigné soit-il, n’exclut nullement chez elle le sens de la déclamation lyrique ; il la soutient au contraire et s’applique à l’accentuer. La plastique et le geste, remarquablement étudiés, sont d’accord toujours avec les indi-

  1. On se rappelle que les représentations lyonnaises de Tristan furent des plus intéressantes avec Mmes Janssen et Bressler-Gianoli, admirables toutes deux dans les rôles d’Isolde et de Brangaene, et MM. Scaramberg, Mondaud et Sylvain.