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de basson avec des sons bouchés de cor, ou le pizzicato du violoncelle avec la harpe, comment apprécier arithmétiquement ces erreurs, et comment différencier ces fautes vénielles de l’énormité qui consisterait à prendre un cor pour un trombone, un violon pour un hautbois, une clarinette basse pour un basson. Il est fort difficile d’établir une échelle des timbres, sans compter que l’orchestre apparaît comme se réduisant assez mal au rôle d’instrument de laboratoire.

La seule manière d’obtenir un résultat pratique me semble consister en une seule sériation, d’ailleurs arbitraire, je suis forcé de le reconnaître, des jeux d’un orgue donnant un son de même hauteur, avec une même intensité, dans des timbres progressant du plus nasillard au plus ouvert, sans qu’il y ait de sauts trop brusques d’un registre à l’autre : on aurait ainsi une série allant du hautbois à la flûte harmonique en passant par la trompette, la viole de gambe, la voix céleste, etc. Plus le nombre d’intermédiaires sera grand, plus on aura de chances de voir le chiffrage correspondre à une réalité. On opérerait alors avec ce clavier des timbres, comme on a fait avec le clavier ordinaire pour la mémoire tonale.

G. Dans un autre ordre d’idées, on peut étudier le développement de la mémoire, en proposant, soit au piano, soit vocalement, des thèmes de cinq notes que l’on priera le sujet de répéter. On augmentera la longueur du thème jusqu’à ce qu’on ait dépassé les limites au-delà desquelles la phrase n’est plus retenue. Il faudra éviter dans ce test les intervalles trop extraordinaires, ceux qui dépassent l’octave par exemple, sans quoi les résultats des diverses épreuves ne seraient point comparables.

(À suivre)

Edmond Locard.

L’ÉTRANGER
de VINCENT D’INDY

(suite)
Acte ii

Un admirable prélude ouvre le 2e acte : l’âpre thème de malheur s’oppose au thème d’amour, qui revêt sa forme la plus insinuante et la plus persuasive. Triomphalement bientôt s’épand le thème passionnel longuement développé en une page d’allure toute franckiste. Puis au thème de fatalité fortement martelé succède, par un pianissimo subit, le thème de Bonté qui par sa sérénité apaise cette lutte angoissante.

Les bans de Vita et d’André n’ont pas été publiés, et la mère de la jeune fille la gourmande fortement d’avoir empêché, par un coup de tête, leur publication. Vita, demeurée seule, se confie à la vaste mer, en une page d’invocation grandiose, quand l’Étranger vient lui faire ses adieux derniers. Ici il faut citer le texte émouvant du poème :

L’Étranger. — Vita, je vais te quitter pour toujours. Mais avant de fuir à jamais ce rivage, je veux implorer mon pardon. Pardonne-moi l’imprudente parole qu’hier je n’ai su retenir. Pardonne-moi, dis que tu me pardonnes et que je suis absous.

Vita. — Mais qui es-tu, toi ? Qui es-tu donc ?

Comme l’aiguille vers le nord, vers toi mon âme est attirée et je ne sais pas qui tu es, j’ignore même ta patrie… Ah ! si tu dois partir, laisse moi te connaître et que je garde au moins un souvenir de toi, dis-moi ton nom !

L’Étranger. — Mon nom ?… Je n’en ai pas. Je suis celui qui rêve. Je suis celui qui aime. Aimant les pauvres et les inconsolés, rêvant le bonheur de tous les hommes frères, j’ai marché, j’ai marché à travers bien des mondes, j’ai longtemps navigué et sur toutes