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Au demeurant, l’accueil, éperdu, inouï, réservé hier à Tristan et Isolde, l’irrésistible et foudroyant effet produit montrent bien le caractère hasardeux des dénigrements. Pas un de nous qui ne se soit laissé bercer, rouler, broyer par le large fleuve, le torrent déchaîné, le furieux Niagara de mélodies et d’harmonies ; qui n’ait accepté l’enivrant et torturant servage. Il semblait que nous eussions tous bu le philtre d’amour et de soumission, pour partager les douleurs et les voluptés, les deuils, les angoisses, les extases du couple prodigieux. Jamais le géant ne nous paru si formidable en son oubli des systèmes et des théories, en sa victorieuse spontanéité d’artiste ; jamais sa puissance ne se manifesta de façon plus péremptoire. »

HORS LYON

BORDEAUX.

Société Sainte-Cécile. — Un beau concert où nous a été révélée une véritable artiste. Après la Symphonie en mi mineur de Brahms, œuvre forte, grave et lourde, nous avons entendu le Concerto en ut mineur (alla Mozart) de Beethoven et les si musicales Variations symphoniques de C. Franck, interprétés par Mlle Marguerite Long. Cette jeune fille n’est pas seulement une virtuose brillante et sûre : elle est une merveilleuse musicienne. L’âme de la musique est en elle ; son jeu est un enchantement. Douceur et beauté du son, pureté exquise et grave du style, charme pénétrant de l’émotion, et aussi vivacité agile, prestesse spirituelle, frémissements étincelants, séduisantes caresses, toutes les grâces du génie féminin, Mlle Long les possède au degré où Risler (peut-être davantage) possède les puissances du génie viril. Mais ce qui en elle est surtout admirable (et si rare !) c’est ce merveilleux sens du rythme qui ne s’exalte pas seulement dans telle Variation où il semble que l’on voie.

Les égipants ballants comme les chèvres font, mais qui anime secrètement les phrases en apparence les plus égales et y insinue la subtile séduction d’une impalpable danse. C’est la musique même ! Je dirais mieux ma joie si elle était moins vive. Acclamée, rappelée, Mlle Long a dû jouer en bis une Étude de Chopin, puis encore une pièce de Scarlatti. Si jamais Mlle Long passe à Lyon, précipitez-vous.

Mais, si elle joue les Variétés symphoniques, puisse votre orchestre être moins mollasse et indécis !

Entre temps, ingénieux contraste ménagé entre le scherzo brillant, élégant et froid du pseudo-classique Songe d’une Nuit d’été du peu shakespearien Mendelssohn et le Prélude à l’après-midi d’un faune, de Debussy, tout embrasé de soleil et de volupté.

Enfin Napoli de Charpentier, très italien évidemment, pour son dévergondage, de jovialité vulgaire et bruyante. Après Franck, c’était atroce.

A. Lambinet.

GRENOBLE

La saison théâtrale se présente cette année à Grenoble dans des conditions particulièrement favorables : le sympathique directeur, M. Santara, dont nous avons déjà pu apprécier, il y a quelques années, l’intelligente initiative, a réuni une troupe dont l’homogénéité est largement satisfaisante.

De son côté, l’orchestre fait un effort louable pour acquérir les qualités d’ensemble que la valeur individuelle de ses membres nous permet de lui demander. Enfin le répertoire très varié, que nous a présenté M. Santara, comporte la création à Grenoble d’une dizaine d’œuvres musicales intéressantes dont quelques-unes dues à la plume inlassable de Massenet.

La série des concerts s’est ouverte par une audition qu’un jeune violoniste de notre ville, M. Lehoucq, a donnée avec le gracieux concours de M. Daniel Fleuret, professeur au Conservatoire de Lyon. M. Lehoucq a fait preuve d’une réelle virtuosité et il n’est pas douteux que son jeune talent soit plein de promesses. M. Fleuret, dans le rôle discret d’accompagnateur, n’a pu que nous procurer le plaisir d’apprécier son impeccable correction.

Le concert donné par Jacques Thibaud, à Grenoble, a été pour la foule qui se pressait dans les salons de l’Hôtel Moderne un délicieux régal.

Malheureusement, ainsi qu’à Lyon, Grieg a remplacé Huber. Nous aurions aimé à entendre le merveilleux artiste qu’est Jacques Thibaud dans une des magistrales sonates de la musique moderne, le public grenoblois ne pouvait trouver un meilleur interprète pour lui faire connaître Franck, Lekeu, Fauré et Magnard.

F.