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moyenne) qui préfère déclarer obscur un ouvrage dont il n’a pas saisi les beautés à la première audition, tant il est convaincu de la souveraineté de son intelligence et de la toute-puissance de son cerveau. La remarque avait été déjà faite par Th. de Banville, dont le théâtre idéal ne devait contenir qu’un petit nombre de places chères et beaucoup d’autres à bon marché.

L’homme cultivé, dilettante, un peu blasé, parfois teinté de snobisme, mais averti et artiste, et la foule des galeries forment le vrai public, qui applaudit et siffle, s’emballe ou ricane, mais vibre toujours. Le haut et le bas d’une salle possèdent des auditeurs, le milieu n’a (à quelques exceptions près), que des spectateurs, suiveurs d’avant-garde ou impedimenta d’arrière-garde, que remorque l’un des groupes précédents.

Nous pourrions ajouter aux faits que rapporte M. Retté, quelques observations personnelles glanées dans les altitudes de notre Grand-Théâtre. L’un admirait, dans le Crépuscule des Dieux, l’exacte concordance de la parole et des mélodies, et, sans connaître l’œuvre, prédisait au troisième acte, à la fin du récit, le crime de Hagen, parce que, disait-il, l’orchestre est triste. Un autre trouvait le sujet d’Armide très dramatique, mais s’étonnait du nombre des ballets qui interrompent l’action (la remarque, injuste à l’égard de Gluck, dénotait un sens assez profond des nécessités de l’opéra moderne, et nous ne pouvons reprocher à son auteur de manquer de l’éducation musicale indispensable pour se transporter en plein xviiie siècle). Un autre exprimait énergiquement sa profonde émotion, pendant les brusques sursauts de cuivre de la Marche funèbre du héros wagnérien, en des termes, qui pour ne pouvoir être rapportés, n’en étaient pas moins explicites ; tandis que les spectateurs des places moins élevées citaient Lavignac en se répandant dans les couloirs et en demandant leur pardessus à l’ouvreuse : « Oh ! Madame, la sérénité consolante du six-huit en sol majeur de la Rédemption par l’Amour !… »

Cependant nous estimons qu’il n’y a pas de règle absolue et qu’il ne faudrait pas faire du public populaire le seul arbitre de nos destinées artistiques. La compréhension de certaines œuvres exige une culture raffinée, une éducation de serre chaude… et des loisirs. Le temps nous apparaît lointain où les galeries goûteront Mæterlinck et Debussy : il ne faut pourtant jurer de rien ; il y a du ridicule et de la témérité à s’ériger en prophète, surtout en matière d’art. On a reproché à Bizet d’écrire pour des initiés, et Carmen est l’œuvre populaire par excellence. Gounod qualifia Tannhæuser d’œuvre scientifique : ce fut un mot malheureux ; on chante la romance de l’étoile dans les brasseries en plein air. Les boulevardiers criblèrent de leurs sarcasmes et de leur ironie acérée les petites chapelles où s’élaborait l’émancipation de la musique dramatique ; ils décochèrent leurs traits les plus spirituellement méprisants sur les pèlerins de Bayreuth : et, aujourd’hui, les gamins de la Guillotière, qu’on aurait pu croire voué à l’italianisme perpétuel, sifflent en signe de ralliement, le motif de l’Appel du fils des bois : ce qui prouve que la Tétralogie n’est pas hermétique autant qu’on l’a crié aux quatre coins de la chronique, et que le thème du jeune héros qui berne son précepteur Mime et fait si joyeusement l’école buissonnière dans la forêt est véritablement caractéristique.

De tout ceci, il résulte que l’artiste doit écrire pour tout le monde ou plutôt pour ceux qui sont dignes de comprendre. Il ne faut pas médire du cénacle qui prépare les grands mouvements, ni du public qui les consacre : le génie est une prescience de l’Avenir : les novateurs écrivent pour les fils de leurs contemporains ; l’indulgence s’impose donc pour les critiques, qui n’ont pas de génie, pour les hommes de génie, qui ont mauvais caractère, et pour ce peuple que les marchands d’orviétan adulent, mais qui va (longtemps après), droit à la beauté, de toute la force de ses instincts vierges et de sa logique inconscience.

A. Arnoux.

Musiciens Scandinaves

La revue Die Musik a consacré son deuxième fascicule d’août aux musiciens scandinaves. Ce fascicule renferme quelques pages fort intéressantes dans lesquelles M. Charles Flodin, d’Helsingfors, étudie le mouvement