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du passé musical, telle que l’a entreprise Vincent d’Indy.

On l’a remarqué parfois, non sans raison : de très hautes œuvres d’art ne sont que la mise en valeur, par un artiste conscient, de quelque mythe élémentaire et traditionnel que le rameau d’or de l’inspiration évoque de l’obscurité anonyme. De même que d’un air populaire, manié par un musicien possédant toutes les ressources de son art, peut sortir toute une floraison de formes qui s’y trouvait comme impliquée — Bach, Beethoven, Wagner déjà en fournirent maint exemple — un symbole livrera, à des yeux attentifs, tout un monde de vérité dramatique et humaine. Enfant épris du fantastique gracieux d’Andersen et de Hauff, folkloriste passionné plus tard, Vincent d’Indy devait tout naturellement, pour mettre sa musique au service d’une « action », incliner vers la légende ou le symbole. Un élément dramatique élémentaire s’insinue déjà dans le Chant de la Cloche. En 1884, la légende pour orchestre de Saugefleurie racontait comment la fée renonçait à l’immortalité et à la vie pour posséder, un instant, le cœur du fils du roi… Quand Vincent d’Indy aborda le théâtre, sa Muse attentive aux symboles l’y suivit. Fervaal, outre une glorification de la Celtide cévenole, célèbre l’acheminement de son héros, par la voie de la douleur, de l’amour égoïste à l’amour universel, des notions terre-à-terre à la clairvoyance supérieure : une purification semblable, à la fin du dernier acte, fait luire une nouvelle aurore sur les monts que la foudre a frappés, et inspire son chant héroïque à Fervaal, disparaissant vers les cimes en portant dans ses bras sa fiancée morte. L’Étranger enfin — suprême hardiesse ! — situait dans la vie courante et dans le décor d’un village de pêcheurs contemporains un symbole de renoncement et de sacrifice. L’Étranger, mystérieux apôtre du dévouement à l’universel bonheur, cède un instant au rêve de l’amour égoïste, mais sa volonté du bien entraîne au martyre et à la mort altruiste celle-là même pour qui sa tendresse avait failli oublier l’œuvre de charité. La scène où, sous la houle et l’embrun, Vita suit dans le canot de sauvetage, afin de porter un secours désespéré à un navire en détresse, celui qui rêvait « le bonheur de tous les hommes frères », et où la foule haletante des pêcheurs les voit disparaître tous deux sous une lame formidable, cette scène où se rejoignent en quelque sorte tous les éléments du talent de Vincent d’Indy, la sincérité de son inspiration, son orchestration prestigieuse, l’idéalisme de sa pensée et l’émotion de son cœur en face des grands spectacles de la nature ou de l’âme populaire, est une des pages dont la présente école symphonique française peut s’enorgueillir au plus juste titre.

L’œuvre complexe dont nous n’avons entendu donner ici que les « directives », et l’artiste éminent qu’elle a illustré, se sont imposés au public plutôt qu’ils ne l’ont séduit. On a reproché à cette musique d’être distante et trop réfléchie, de manquer d’abandon et de libre jaillissement ; et, de même, on a fait parfois une sorte de grief à Vincent d’Indy de sa distinction, de sa réserve, de sa science. Ceux pour qui le « tempérament d’artiste » ne se saurait concevoir sans l’exubérance, le débraillé et la bohême, et qui n’imaginent pas de vie intérieure profonde sans un remuement visible à la surface, se trouvent assez déçus de cette sobriété de geste et de parole, — qui sait d’ailleurs faire place, dans l’intimité, à l’abandon le plus charmant —, et de cette correction impeccable, et de cette physionomie qui respire l’intelligence et la volonté plus que la fougue et le caprice. On peut dire que