Page:Revue Musicale de Lyon 1904-12-04.pdf/4

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
76
revue musicale de lyon

férée, le Chant des Bruyères, le Brouillard, Hêtres et Pins… Pendant l’automne de 1886, il écrivit sa puissante Symphonie sur un chant montagnard français, construite sur une pastourelle lente du pays cévenol dont le dialogue du piano et de l’orchestre combine et modifie les éléments mélodiques et rythmiques avec une merveilleuse invention dans la recherche des sonorités et l’accouplement des timbres. Ce sont encore des chansons populaires qui forment le canevas musical de la Fantaisie pour orchestre et hautbois composée en 1888 et inspirée, elle aussi, par la contemplation de la nature dans les Hautes-Cévennes. Il n’est pas jusqu’aux quatuors où ne s’insinue le caractère de la mélodie populaire. Enfin un recueil des Chansons populaire du Vivarais a fait directement place à ces inventions anonymes et traditionnelles que l’art du compositeur s’efforçait ailleurs d’ouvrer, de développer et de styliser, et dont son œuvre dramatique ne manquera pas de s’inspirer à son tour.

Tandis que Vincent d’Indy cherchait, en quelque sorte, dans le terroir le plus proche de ses racines familiales l’aliment de son inspiration (et toute étude technique de son style devra tenir compte de l’influence que le chant populaire a exercée sur sa conception du rythme et de la modulation), une science de plus en plus poussée de l’histoire de la musique l’affermissait dans ses préférences, ses dispositions et le choix de ses moyens propres d’expression. « Il semble naturel, écrit-il[1] que l’artiste dont la condition première est de connaître à fond l’art qu’il a choisi, revive lui-même la vie de cet art, et, au moyen de l’intelligence des formes créées par l’évolution artistique, en arrive à dégager sa propre personnalité d’une manière infiniment plus sûre que s’il procédait empiriquement ». Ce programme, lui-même n’a guère cessé de s’y soumettre ; et surtout depuis qu’en 1896, avec MM. Bordes et Guilmant, il fonda la Schola Cantorum de Paris et y organisa l’enseignement esthétique, ses investigations dans le passé de la musique se sont faites plus pressantes et plus indicatrices. Fonder le présent sur l’étude du passé, dégager les lois essentielles de la création artistique, comprendre, en les situant à leur place historique, les efforts successifs vers la beauté musicale : quoi de plus légitime et de plus séduisant, quoi de plus instructif et de plus révélateur ? Certaines leçons de Vincent d’Indy sur la sonate, par exemple, sont de petits chefs-d’œuvre de critique évolutionniste ; et bien que, çà et là, des manifestations importantes du génie musical restent en dehors de la courbe tracée par l’évolution d’un genre, les grandes lignes de son Cours de composition correspondront vraisemblablement à la véritable croissance organique de l’art des rythmes et des sons.

Mais les études d’histoire musicale de Vincent d’Indy semblent avoir eu surtout pour résultat — à ne considérer que sa propre personnalité artistique — de justifier quelques-uns des procédés par où il continue César Franck et qui sont l’aboutissement nécessaire de la tradition musicale. Sa conception du développement thématique dans la musique de chambre et la symphonie, son hostilité aux strictes symétries rythmiques, l’orientation tout entière de son écriture d’orchestre vers la structure harmonique plutôt que vers la polyphonie — tûtes ces particularités, contenues en puissance dans le passé de la musique, se trouvent justifiées, à ses yeux, comme la nécessité même de l’heure présente, dans la spirale infinie de l’art. Et si la cellule primordiale de la musique est la mélodie, issue du langage par l’accent, c’est l’épanouissement naturel de cet élément primitif, jusqu’à ses extrêmes « possibilité » actuelles, que doit faire apercevoir l’étude

  1. Avant-propos du Cours de composition.