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les représentations de Lohengrin à l’Eden qui se bornèrent à la retentissante soirée du 3 mai 1887, Vincent d’Indy fut chargé de la direction des études chorales et de la musique de scène. Âge héroïque du wagnérisme français, enchantement et enthousiasme qui arrachaient les vrais artistes à la médiocrité de l’ancienne musique dramatique et qui restauraient peu à peu dans les esprits une haute, une fière conception de l’art !

Dans la trilogie de Wallenstein, composée de 1873 à 1881, Vincent d’Indy fournissait « une préface et un commentaire musical » à la pièce de Schiller. Sur un fond pittoresque, mais sans rien du chatoiement si extérieur de Berlioz, des thèmes expressifs disent tour à tour la brutalité du Camp de Wallenstein, l’idylle attendrissante de Max et Thécla, l’inéluctable destinée qui aboutit à la Mort de Wallenstein. Déployés ou contrariés, triomphants ou étouffés, des leitmotivs représentent, par leur développement et leur combinaison, l’action tragique dramatisée par le poète. La fatalité plane, signifiée par les fameux accords « sidéraux » de la troisième partie, sur un grand fait historique qui organise autour d’un chef une cohue bariolée de soudards (le motif fugué des bassons qui, dans le Camp, équivaut au sermon grotesque du capucin, est célèbre), et qui abrite un douloureux épisode d’amour…

Comme dans la plupart des ouvertures de Wagner, le Prologue du Chant de la Cloche (écrit de 1879 à 1883) est une sorte de schema de la partition entière : Wilhelm, le maître fondeur, sent sa mort prochaine, et veut revoir les instants où les cloches ont rythmé — carillon, angelus ou tocsin — l’essentiel de sa vie. Et les tableaux se succèdent, avec d’ingénieuses trouvailles harmoniques ou rythmiques, Baptême joyeux, Incendie plein d’épouvante, Amour qui contemple la nature et la vie, d’autres tableaux encore, qu’accompagne ou qu’interrompt la puissante rumeur ou la voix lointaine des cloches.

C’est surtout après 1880 que dans l’œuvre de Vincent d’Indy apparaissent avec leur pleine valeur ces « affinités » locales dont il a lui-même, plus d’une fois, signalé l’importance. Proposant un jour de remplacer le prix de Rome par des bourses dont jouiraient dans leur milieu natal des artistes en possession de la technique de leur art, il écrivait : « Si l’esprit populaire particulier à chaque portion de la grande patrie a pu se pétrir, pour ainsi dire, une pâte musicale appropriée à ses besoins, quelle bienfaisante influence ce milieu spécial n’est-il pas appelé à exercer sur l’âme d’un artiste expert en son métier, conscient de son art et convaincu de la mission éducatrice qui lui est dévolue ? »

Cette influence fécondante, il semble que Vincent d’Indy l’ait éprouvée dans ce pays cévenol auquel le rattachaient des liens étroits et anciens. Quoiqu’il fût né à Paris, l’Ardèche, pays d’origine de sa famille, avait de bonne heure offert à sa rêverie, les mois d’été, les lignes graves de ses paysages. Les environs de Vernoux, les montagnes du Vercors, la plaine du Rhône devinrent un décor familier pour ses yeux, et pour son âme une source toujours plus vivifiante d’inspiration et d’émotion. Il aima le charme sévère et fort des profondes vallées où s’élance la meute bruyante des torrents, des hauts plateaux où passe le vent des hauteurs, des bois de hêtres et de sapins qui couronnent les cultures en terrasses ; et, qu’il surprît le chant des pâtres ardéchois ou qu’il entendît les voix confuses de la montagne, il eut ici son coin de France de prédilection à interpréter. Son Poème des montagnes célébrait dès 1881 quelques aspects de cette Nature familière et pré-