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d’Armide, les deux langues (celle du poète et celle du musicien), bien fondues ensemble dans une savante unité, forment une peinture parfaite qui n’a rien perdu, qui ne peut rien perdre de la grandeur de la conception, de la beauté et de la fraîcheur du dessin, du sublime de l’idéal, de la magie du merveilleux, de l’intelligence de la couleur et de la lumière, du goût et de l’énergie de l’expression, de la grâce et de la dignité des passions, enfin de la sage distribution de tous les effets capables de produire la jouissance de tous les enchantements et l’enchantement de toutes les jouissances. »

À la suite de ces curieuses citations, M. Sallès me mettant aimablement en cause, remarque que, dans la Revue Musicale, j’ai repris, presque en les mêmes termes, la thèse soutenue par M. D…, il y a 97 ans. Je dois avouer que, depuis mon compte rendu d’Armide, paru dans l’avant-dernier numéro de notre Revue, j’ai singulièrement évolué et que mon opinion actuelle, et sans doute définitive, sur l’œuvre de Gluck que je viens d’entendre huit fois en quinze jours, s’est éloignée beaucoup de celle de M. D…, pour se confondre presque avec celle de M. V… On m’excusera de citer cet exemple personnel, car j’estime que je ne suis pas le seul à avoir subi cette évolution rapide due en partie au talent merveilleux de Mlle Janssen qui nous a révélé la valeur expressive de Gluck insoupçonnée par la créatrice du rôle, et surtout à une sorte de rééducation inconsciente et progressive, par l’audition répétée d’Armide, de notre goût musical.

C’est que nos sens sont émoussés par l’usage ou l’abus de la musique moderne, blasés par les outrances et les frénésies des œuvre contemporaines. Dès lors l’art très simple de Gluck, si différent des inquiétudes de l’art actuel, ne nous touche guère, ne nous émeut plus, et, si nous voulons nous rendre aptes à en pénétrer les beautés, nous sommes obligés, par un effort laborieux mais bien compensé par les jouissances que nous en retirons, de revenir en arrière, de faire abstraction de nos tendances, de nous distraire de nos agitations, en un mot de nous refaire, en quelque sorte, une virginité artistique, de recréer en nous, si j’ose dire, la mentalité impubère de nos jeunes années musicales.

Léon Vallas.

GRAND-THÉÂTRE

L’Africaine

Le succès persistant qu’obtient encore la ridicule histoire malgache perpétrée par Scribe et mise en musique par Meyerbeer peut paraître inexplicable. On comprend qu’à l’Opéra, le public spécial et peu artiste qui y fréquente puisse supporter, en bavardant, la longueur de cinq actes ennuyeux, uniquement pour voir le bateau, le fameux bateau articulé, décrire un arc de cercle au commandement de Nélusko : « Tournez au nord ! » Mais en province, où les Lorant qui régissent nos scènes ne nous offrent pas cette curiosité mécanique, il est difficile de deviner pourquoi l’Africaine se maintient au Répertoire.

Ce n’est pas à cause de l’intérêt du livret. L’œuvre de Scribe, dont il est inutile de relever ici les invraisemblances et les absurdités si souvent remarquées et commentées dernièrement encore par notre spirituel confrère Raoul Cinoh, est en effet le comble de l’insanité. Ce n’est pas non plus à cause de la musique, car la partition n’a d’autre mérite que d’être assez bien orchestrée et, si elle renferme quatre ou cinq belles pages (Invocation de Nélusko à Brahma ; Marche indienne, chant du Brahmine : Brahma, Vischnou, Siva ; quelques phrases du quatrième acte et du cinquième), l’ensemble constitue ce que Meyerbeer a écrit de plus mauvais, musique dont la pauvreté ne saurait convenir qu’au piteux répertoire de notre harmonie municipale.

Il faut, je crois, imputer le succès de l’Africaine au Panurgisme d’une certaine partie du public qui applaudit jadis cette œuvre parce qu’elle avait été très fêtée à Paris et qui, par amour de la tradition, ne se résout pas à délaisser aujourd’hui le culte d’une idole croulante, alors que, en tout sincérité, il doit s’en avouer lui-même toute la déchéance et la vétusté. Et ce qui prouve ce traditionalisme et cette routine déplorable, c’est précisément le succès de commande fait à certaines pages franchement médiocres, acclamées encore parce que c’est l’usage, comme le