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Mme Jedrzejewicz, et celle-ci les avait communiquées immédiatement à miss Stirling. Elle se résument ainsi : « Quel caractère ont pris, dans les dernières années, les rapports affectueux qui ont existé entre Chopin et George Sand ? Peut-on croire que le roman de Lucrezia Floriani avec le prince représente l’histoire vraie de leurs amours ? Chopin avait-il rompu avec George Sand en février 1848 ; était-ce une rupture violente ou amiable ; en souffrit-il, ou parvint-il à supporter facilement la chose ? Revint-il souvent et volontiers à Nohan ? Quand a-t-il vu George Sand pour la première fois ; a-t-il voulu la revoir après leur séparation ? A-t-il et, dans quel sentiment, parlé d’elle vers la fin de sa vie ? » Miss Stirling répondit aux questions avec beaucoup de tact, mais sans profit pour nous. « La vie intime de Chopin, écrivit-elle, était pour lui un sanctuaire. Il attachait trop peu de prix aux menus détails de l’existence quotidienne pour désirer qu’ils entrassent dans le cadre de sa biographie ». En somme, la compilation de M. Mieczyslaw Karlowicz ne manque pas d’intérêt, et si elle ne nous révèle rien de nouveau, elle place sous un jour intéressant l’épisode un peu confus des relations de Chopin avec George Sand, « l’insondable créature ».

Nouvelles Diverses

Bordeaux. — Mardi, en l’église Notre-Dame, la société Sainte-Cécile a chanté, motu proprio et avec l’approbation de M. le Vicaire-Général Berbignier, sa messe annuelle. À l’autel M. l’abbé X***, du clergé paroissial ; au pupitre de Kappelmeister le maëstro Pennequin, entouré des dames solistes, du brillant ténor de notre Grand-Théâtre, de tout l’orchestre (cordes, bois, cuivres, batterie) de la Société. Au programme (programme-réclame « parfumé aux parfums de Davir » et préconisant, par une suggestive vignette la Vie Bordelaise) la Messe en Ré de Beethoven. Remarqué, dans la nef, parmi les brillantes et bruissantes toilettes, un bon nombre de fidèles des concerts de la Société suivant dévotement l’office divin sur la partition.

Le Credo a été intégralement supprimé, l’Agnus abrégé de moitié. C’est ce qui peut s’appeler une belle manifestation religieuse et artistique.

A. L.

Pan Wojewoda, le nouvel opéra de M. Rimsky Korsakorff, a été joué pour la première fois à Saint-Pétersbourg, au nouveau théâtre du Prince Zereteli. Le sujet, dédié à la mémoire de Chopin, est des plus sombres ; l’action se passe dans la vieille aristocratie polonaise ; elle est pleine d’enlèvements, de meurtres, d’empoisonnements et d’horreur. Le compositeur a utilisé un grand nombre de thèmes nationaux dont il a tiré un parti assez habile. À la fin de la représentation, les admirateurs de M. Rimsky-Korsakoff lui ont remis une couronne de laurier en argent.

La cantatrice Antoinette Sterling a laissé des souvenirs autobiographiques intéressants, que vient de publier le Stand Magazine. Antoinette Sterling était née le 23 janvier 1850 à Sterlingville (New-York) ; elle possédait une superbe voix de contralto. Après avoir commencé ses études dans son pays natal, elle vint en Europe, acquit tout ce qu’elle pouvait acquérir par un travail sérieux, étant donné son tempérament, et retourna bientôt à New-York. C’est là qu’elle fut présentée à Rubinstein dans un dîner :

« Après que Rubinstein, raconte-t-elle, eût consommé une grande quantité d’huitres fraîches et fumé de nombreuses cigarettes, il dit que je devais chanter et se mit au piano pour m’accompagner. Quand j’eus fini de chanter, il s’arrêta, me regarda longuement et dit : « Vous n’avez jamais aimé ». Il ajouta ensuite que je n’avais pas de cœur. Je n’oublierai jamais son jeu. Liszt était puissant, sauvage, passionné, mais il ne se livrait pas sans réserve, comme Rubinstein. Celui-ci était un titan, une âme gigantesque, il semblait avoir été modelé dans un bloc primitif ; celui-là possédait une intelligence vaste et forte, il avait à dire au monde des choses de l’infini et tout ce que renfermait son être se révélait par la musique. En Angleterre, je chantai devant Liszt, chez la baronne Burett-Coutts. Le maestro avait prévenu que l’on ne devait pas lui demander de toucher au piano et qu’il ne voulait pas même le regarder. Il venait de donner son dernier concert et allait partir le surlendemain. Néanmoins lorsque l’on passa de la salle à manger au salon, le piano était ouvert. On dit à Liszt que j’allais chanter un de ses lieder et, pendant que je commençais le Roi de Thulé, il s’assit tout près et demeura comme absorbé sans faire aucun mouvement. Après la der-