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faire injure, furent, en art, de véritables Italiens. Subissant l’influence ultramontaine qui régnait à Vienne à leur époque, et aussi leur génie propre les y poussant, ils chantèrent pour chanter, sans voir dans leurs aimables trouvailles mélodiques autre chose que de la matière à musique, matière plus ou moins riche selon l’inspiration du moment, destinée à être coulée dans un moule, toujours le même, qu’ils ne songèrent jamais à agrandir ni à modifier.

Beethoven, lui, est, dans sa musique, plus qu’un compositeur, il est l’homme, l’homme souffrant, l’homme moderne. Ses idées, au contraire de celles de ses prédécesseurs Haydn et Mozart, sortant péniblement de son cerveau toujours en travail, restent parfois plusieurs années sur le métier avant d’atteindre leur état définitif ; quant à la forme, tout en conservant comme bases les grandes assises naturelles posées par les siècles antérieurs, Beethoven sait la modifier à la mesure de ses idées, et il en arrive enfin à créer cette haute forme cyclique ou synthétique sur laquelle vivent encore tous nos compositeurs, et de laquelle procèdent évidemment deux musiciens modernes de génie : César Franck, dans l’ordre symphonique, et, dans le drame, Richard Wagner.

Quels furent donc, étant donné que les grands producteurs sont, à mon sens, des résultantes d’efforts antérieurs, quels furent donc les ancêtres naturels de Beethoven, ceux qui le précédèrent dans la voie artistique qu’il était appelé, dès sa trente-deuxième année (en cette année 1802 qui vit sa première transformation), à élargir si magnifiquement ?

Ces ancêtres furent principalement deux innovateurs de grand talent, sinon de génie, procédant tous deux de l’école de l’immortel Cantor, de Saint-Thomas, Emmanuel Bach et Wilhelm Rust.

(À suivre)

Vincent d’Indy

La Suite Instrumentale

Pour M. André de Bouchaud de Bussy.
La danse. — Les danses anciennes. — Forme identique de ces danses : la forme-Suite. — Agencement de ces danses en Suite. — Les pièces qui font partie de la Suite sans être des danses. Des doubles, des agréments et des alternatives. — Avatars modernes de la Suite. — La forme-Suite dans l’évolution des formes musicales modernes.

Nous sommes au xie siècle ; pendant que le catholicisme édifie des cathédrales et que le chant liturgique resplendit, dehors on chante, on danse la joie de vivre, et le rythme du corps mime le rythme de la chanson, et le rythme de la voix précise le rythme du corps — la chanson et la danse se confondent.

Des instruments de musique s’inventent ou se perfectionnent, des instrumentistes se forment, et, dans un coin de la salle, ou contre un arbre, grattant de quelque viole, quelque naïf accompagne la chanson dansée, puis s’enhardissant de ses doigts et de sa mémoire, dans le silence, il ébauche la chanson seule, sans paroles ni geste : musique pure.

Bohèmes et coureurs, les musiciens s’en vont le long des fleuves, et apprennent de nouvelles mélodies aux pays divers ; tels furent ces premiers réveurs qui essayèrent de nouveaux airs sur d’anciens rythmes.

Au xvie siècle il y a des arrangements de danses pour plusieurs instruments, et plusieurs danses se jouent à la suite, dans le même ton : pour que le plaisir dure plus longtemps sans doute, e que la récompense aux musiciens soit plus belle ; la Suite est née. Elle se développera en profitant des progrès de l’écriture musicale et disparaîtra en laissant la place à la Sonate.

Nous allons très brièvement examiner l’individualité de chacune des danses que l’on rencontre le plus souvent dans les Suites des grands Maîtres du xviie siècle :