Page:Revue Musicale de Lyon 1904-11-13.pdf/2

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
38
revue musicale de lyon

tion des hautes montagnes, doit étudier de près ces ondulations préparatoires.

Ce sont précisément les mouvements du terrain artistique qui relient Sébastien Bach, cet immortel glacier, au sublime pic beethovenien, que j’ai l’intention de parcourir aujourd’hui en votre compagnie ; mais que l’on se rassure, en excursionniste pratique, je tâcherai de faire en sorte que l’étape ne soit ni trop longue, ni trop fatigante.

Il y a quelque temps, je lisais dans des journaux allemands, qu’on allait ériger à Berlin un monument franchement laid, si l’on s’en rapporte à la description, consistant en un triple buste d’Haydn, Mozart et Beethoven, posé sur une stèle unique et accompagné des inévitables attributs que les sculpteurs se croient obligés d’aller chercher dans les magasins d’accessoires de la Renaissance et du dix-huitième siècle.

Ce monument serait, d’après les feuilles précitées, un instructif symbole de la grande filiation symphonique : « die ehrliche Abstammung der Sinfonie ».

J’avoue ne point comprendre comment les Allemands, partout regardés comme des penseurs aussi profonds qu’érudits, ont pu admettre et vouloir consacrer, par l’érection d’un monument, la flagrante erreur (accréditée, il est vrai, dans certains Conservatoire) d’une filiation esthétique entre Haydn et Mozart, ces Italiens chanteurs, et le Germain inquiet, souffrant, toujours préoccupé d’au-delà, véritable incarnation de l’âme de notre siècle, que fut Ludwig van Beethoven.

Il est vrai de dire qu’en dépit de leur réputation de savants, les Allemands ne sont guère scrupuleux parfois en matière de reconstitution artistique et prennent, plus souvent qu’il ne faudrait, avec les chefs-d’œuvre de la musique, des libertés que nous n’hésiterions pas, en France, à qualifier de contrefaçons.

Sans parler des falsifications éhontées des textes grégoriens que l’on vend à Ratisbonne, sans parler du dérangement des plus belles cantates de Bach par des Robert Franz, ou encore des suppressions de trente à quarante mesures pratiquées sans vergogne dans les parties d’orchestre de certaines éditions allemandes des symphonies d’Haydn (à seule fin de faire tenir toute la partie du premier violon en quatre pages) ; sans parler de tout cela, ne s’est-il point trouvé outre-Rhin des musiciens sérieux, comme Hans de Bülow qui ont consenti à laisser publier sous le nom et l’étiquette d’artistes classiques, de véritables parodies ou amplifications tirées de leur propre fond d’après le thème de ses auteurs ? (Voyez les éditions de Bülow des Sonates de Scarlatti et d’Emmanuel Bach). Et, il y a quelques années, n’avons-nous point vu un compositeur de haute valeur, chef d’orchestre quasi génial, venir nous présenter sérieusement au concert une fantaisie un peu bien carnavalesque (il est vrai que c’était le dimanche gras) avec points d’orgue de flûte, modifications harmoniques, combinaisons de thèmes auxquelles l’auteur n’avait jamais pensé, tout cela fort amusant du reste, sur l’inoffensive Invitation à la valse de Weber ? Cette fantaisie n’est-elle pas cousine germaine, sinon plus proche parente des anciennes grandes fantaisies pour piano sur des airs d’opéra, perpétrées par les Sigismond Thalberg, Osborne et autre de Bériot, genre de composition dont le temps a fait, heureusement, bonne justice ?

L’Allemagne a souvent une façon bien particulière d’honorer ses maîtres, c’est pourquoi, en dépit du monument à trois têtes, je me crois fondé à m’inscrire en faux contre le lieu commun trop généralement répandu d’une filiation esthétique : Haydn, Mozart, Beethoven.

En effet, Haydn et Mozart, je le répète et, en cela, je n’entends nullement leur