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de M. Charles Bordes, dont personne ne saurait nier la compétence spéciale en matière d’art religieux, dans lequel l’éminent rénovateur de la musique sacrée expose, en la développant, cette idée de la non-valeur liturgique de la Messe de Franck que j’avais seulement indiquée.

L. V.

Voici un extrait de cette étude :

« César Franck doit être envisagé par nos contemporains comme le musicien ayant atteint le plus parfaitement à la plus pure expression du sentiment religieux dans la musique.

« Doit-il en découler que sa musique d’église est parfaite et digne d’être appliquée à toute fonction liturgique ? Tel est le problème qui surgit à l’examen un peu approfondi de la musique d’église de l’auteur des Béatitudes. Ce problème n’est pas sans troubler beaucoup de jeunes musiciens sincères qui s’appliquent à trouver une formule moderne de musique religieuse applicable à la liturgie.

« Essayons donc de définir d’abord en quoi consiste le sentiment dit religieux dans la musique et comment il est susceptible de s’associer à la fonction liturgique.

« C’est à dessein que j’ai exprimé cet état d’âme du musicien qui s’inspire d’un sujet religieux et s’y applique par les mots sentiment dit religieux car, s’il s’agit d’une musique destinée à se mêler à la liturgie le terme sentiment est ici propre car, qui dit sentiment dit drame et le drame est-il à sa place à l’église ? Qui dit sentiment dit aussi expression individuelle et l’expression d’un seul doit-elle s’imposer à la communauté des fidèles dans une fonction sacrée, avant tout hiératique et toute spéculative ? C’est ce qui fait condamner par l’autorité pontificale tout solo vocal à l’église et dans le cas présent Franck n’est-il pas un soliste, un admirable soliste s’entend, qui nous étale son état d’âme dans une sublime musique qui reste toujours malgré tout le miroir de ses sensations religieuses personnelles et de sa façon de prier à lui qu’il est superflu d’imposer à tout un peuple ?

« Combien plus impersonnelle, plus décorative est la musique grégorienne, simple revêtement sonore de la parole des textes, véritable arabesque musicale animant le texte en l’enjolivant sans aucun recours aux artifices mélodiques dits expressifs de la langue musicale moderne !

« Combien plus appropriée aussi à la liturgie, cette admirable musique polyphonique des maîtres de la Renaissance qui n’est qu’une superposition de lignes mélodiques dont les courbes s’enlacent comme les meneaux d’une rose gothique pour créer une véritable architecture sonore si à sa place dans l’église dont elle semble animer les courbes architecturales, formant un tout parfait en qui consiste le style d’église dont il est impossible de nier la concordance et l’application. Ces formes ont le don de nous impressionner plus que nous émouvoir sinon par une sensation toute physique que toute âme bien née devrait ressentir devant l’expression de la beauté parfaite. Cette sensation quasi physique, chacun l’a ressentie à l’audition presque mystérieuse des chants a capella tombant de la tribune de Saint-Gervais. Sans bien raisonner on en a conclu que ces chants avaient le don de créer une ambiance religieuse propre à élever l’âme et à développer un état de prière propice au recueillement et à l’éclosion de la foi. Que demander de plus à un chant religieux ? rien ce me semble. C’est donc à jamais en consacrer l’application et l’union à la fonction liturgique.

« Dans la musique d’église de César Franck le maître reste toujours, sauf à de rares exceptions près, un soliste. Il l’est au seuil de ce Dextera dont l’ensemble demeure un magnifique morceau de musique pure, mais où la phrase initiale se déroule avec l’ampleur et la majesté d’attitude de certaines de ces statues des églises du style rococo dont on ne peut nier l’allure théâtrale et partant antireligieuse.

« Dans sa messe, dont le Kyrie seul est une exquise prière et l’Agnus une perle d’ingénuité musicale, comment qualifierons-nous ce Quoniam tu sous sanctus du Gloria, tonitruant et moins digne d’un soliste que d’un chantre quelque peu en goguette. À côté de ces pages presque indignes du maître nous voyons surgir l’incomparable frontispice de l’offertoire Quæ est ista digne d’un Bach et surtout cet incomparable Domine non secundum tout contrapuntique, d’un contrepoint très humain s’entend, mais déjà si sobre sauf la reprise finale majeure qui ne vise qu’à l’effet, que dans l’ensemble ce motet peut être donné comme un exemple de musique religieuse moderne… »