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aucune me présenter à lui ; il me fît passer un examen, et, séance tenante, me choisit pour son organiste accompagnateur. Lorsque plus tard, le grand orgue fut construit, il en devint titulaire, — tous savent quel merveilleux et génial talent il déploya dans ces fonctions, — et moi, je lui succédai au chœur comme maître de chapelle jusqu’en 1869. — Pendant ces onze années, nous avons vécu dans une intimité constante, journalière, bienveillante de sa part, pleine de déférence affectueuse et d’admiration de la mienne. Pendant ces onze années, j’ai vu éclore ces œuvres religieuses qui tiennent une si grande place dans son œuvre totale. Citerai-je les beaux offertoires : Dextera, Quæ est ista, celui pour le Carême sa belle Messe, ses Motets, etc. ?… — De toutes ces œuvres j’ai été le premier accompagnateur et je dois dire que j’en ressens une légitime fierté. — j’ai vu éclore ces grandes et superbes pièces d’orgue, d’un style si personnel, d’une écriture si moderne. Franck m’avait fait l’insigne faveur de me les jouer, à moi, le premier, et lorsqu’il les étudiait à l’orgue de Sainte-Clotilde, il me choisissait comme aide pour la registration des jeux. Je me souviendrai toujours d’une séance où il aurait voulu faire entendre ces pièces à un grand artiste de passage à Paris. Nous n’étions que trois à la tribune : l’auteur, Liszt et moi, humble ! — Ce sont là des souvenirs, messieurs, et des plus précieux ; je les garde jalousement dans mon cœur, sans m’émouvoir de rien ; de ce qu’on dit, de ce qu’on ne dit pas ! — Le bon et conciliant César Franck m’aimait ; il savait que je lui rendais son amitié, cela seul me touche et m’importe !

« Dois-je rappeler aussi que je fus un des premiers à qui il fit entendre les Béatitudes, ce chef-d’œuvre si pur, si noble, où la voix du Christ est vraiment la voix d’un Dieu, où les anges chantent si divinement et si séraphiquement !

« Mais je veux parler aussi et surtout de son professorat au Conservatoire, dont j’ai l’honneur d’être aujourd’hui le Directeur. À ce sujet, on a répandu quelques insinuations peu bienveillantes que j’ai à cœur et que je serais très heureux de dissiper. — Je vais m’y efforcer et je sais que je n’y aurai pas beaucoup de peine.

« Lorsque la place de professeur d’orgue fut vacante par la mort de Benoit, je vins de suite trouver mon maître Ambroise Thomas, alors directeur, et je lui dis : « Il n’y a qu’un homme vraiment digne d’occuper aujourd’hui ce poste, c’est César Franck » ; il me répondit ces seuls mots : « C’est vrai » ; et il le fit nommer. — Je tiens à dire cela, parce qu’on a attribué à Ambroise Thomas une certaine hostilité contre Franck. Cela n’était pas ; Ambroise Thomas était un homme d’une trop haute intelligence, d’un esprit trop large pour qu’il en fût ainsi, et j’affirme ici qu’il appréciait hautement l’exceptionnelle valeur de César Franck.

« Que si ce rare et génial talent n’était pas également apprécié de tous ses collègues, il n’y a pas là de quoi s’étonner, et nul n’en peut être rendu responsable ! Cela a existé de tout temps et existera, je crois, toujours. Quand un homme se distingue des autres par une personnalité supérieure très caractérisée, et que, par son exemple et son enseignement, il bat en brèche certaines routines, est-il donc surprenant qu’il ne recueille pas immédiatement toutes les sympathies et toutes les admirations ? L’histoire humaine est là pour répondre !

« … S’il y eut, comme on l’a prétendu, quelque froideur, ou plutôt quelque indifférence de la part de certains collègues de César Franck, je l’ignore, et même je ne le crois pas, mais ce que je tiens à proclamer bien haut, c’est que le Conservatoire est très fier d’avoir pu compter parmi ses professeurs un tel artiste, et que le directeur actuel tient à grand honneur d’avoir été son ami et collège pendant tant d’années.

« En mon nom et au nom du Conservatoire, j’apporte ici un hommage ému d’admiration à la mémoire du noble et puissant artiste auquel nous érigeons aujourd’hui ce monument. »

ii. À propos de la « Messe » de Franck

La saison dernière, à l’occasion d’une exécution en la cathédrale de Saint-Jean, de la Messe de César Franck (Pâques 1904), je m’étais permis d’affirmer que cette importante composition du Maître n’est pas une œuvre religieuse et que sa place n’est pas à l’Église, car elle rentre tout à fait dans la catégorie des œuvres condamnées, pour leur caractère théâtral, par le motu proprio de Pie x. Cette opinion, jugée trop personnelle, m’avait valu de nombreuses protestations.

Or je trouve, dans le très intéressant numéro que le Courrier musical vient de publier sur Franck (V. plus loin Bibliographie) un article