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Et pourtant le chef d’œuvre de Reyer mériterait un meilleur sort par sa valeur réelle et l’attrait qu’il exerce encore sur le public. Sans doute le mot cruel de Saint-Saëns sur Sigurd : « C’est plein d’idées, mais c’est foutu comme quat’sous ! » est toujours vrai ; et plus que jamais, surtout avec le souvenir obsédant des scènes analogues du Crépuscule des Dieux, se manifeste le manque de souplesse du talent de M. Reyer, son peu d’habileté de facture, son insuffisance de métier, en un mot son amateurisme ; mais malgré toutes ses maladresses et ses lourdeurs, Sigurd reste une œuvre séduisante par sa vigueur et son souffle indiscutable.

On peut adresser à cette œuvre bien des critiques : l’instrumentation en est lourde et bruyante ; les cuivres y abondent, écrasant l’orchestre, couvrant les voix ; ls basses lourdement pèsent ; et, si le compositeur veut écrire de façon plus légère, immédiatement des clarinettes grimacent des trilles en tierces mineures, des flûtes soupirent des tierces encore sur des gammes de harpes, et les cors languissamment chantent des tierces toujours. Les idées sont traitées avec une candeur et une maladresse digne d’être notées et elles reparaissent sans cesse identiques à elles-mêmes, singeant l’illustration légère du leitmotiv wagnérien en de lourdes enluminures aux tons criards. C’est bien une vraie musique d’amateur, avec ses successions imperturbables d’accords parfaits, sans un retard, sans un accroc, sans un imprévu, se traînant perpétuellement dans les tonalités grises de naturel, de bémol, de sol bémol, de fa naturel ou de leurs relatifs, avec des formules d’accompagnement toujours les mêmes et qui ne dénotent guère une grande richesse contrapuntique…

Toutes ces critiques sont justes, mais, comme je viens de le dire, il faut faire grâce à la maladresse du compositeur en considération de son incomparable sincérité d’émotion et de ses idées généreuses ; et il vaut mieux, laissant de côté ce pauvre Sigurd, à qui son frère Siegfried, du Crépuscule, fit tant de tort, réserver toutes nos épithètes désobligeantes pour la direction de Broussan qui fit massacrer l’œuvre de Reyer par une troue de piètres chanteurs et une bande de machinistes et d’électricien désorganisée, grâce à l’incompétence manifeste d’un régisseur inconscient.

Comme l’a fait justement remarquer, dans le Salut Public, notre éminent collaborateur Sallès-Amaury, nous possédons, cet hiver, deux troupes d’opéra : l’une excellente, comprenant comme premiers sujets, Mlle Janssen, MM. Verdier et Dangès ; l’autre, médiocre, ou pire, composée de MM. Abonil et Roselli, et de Mme Charles Mazarin. C’est la seconde troupe — troupe de couverture — qui opérait pour la reprise de samedi.

Mme Charles Mazarin faisait sa rentrée dans le rôle de Brunehilde. Cette artiste à tout faire, aujourd’hui soprano dramatique, demain mezzo-soprano ou contralto, présente ceci de particulier qu’elle est également médiocre dans ses différents rôles : Carmen, truquée, incompréhensive Charlotte ou Sieglinde ridicule, elle fut une bien mauvaise Brunehilde avec ses notes graves absentes, son aigu criard, son médium incertain et son insupportable et incessant hoquet inspiratoire qui rappelle si douloureusement la reprise de la coqueluche. Son vainqueur, Sigurd-Abonil, fut détestable au premier acte, supportable au second été bien insuffisant dans l’ensemble. M. Roselli (Gunther) est tantôt excellent et tantôt presque aphone (« brouillard lyonnais, pharyngite granuleuse », expliquait près de moi un médecin) ; Mlle Milcamps est toujours impeccable et glaciale ; quand à M. Galinier (Hagen), il n’est pas près de faire oublier le brave Sylvain dont la voix tonitruante faisait si allègrement « retentir les airs ».

J’ai déjà eu quelques fois l’occasion de dire, en termes modérés et courtois, toute l’incompréhension et l’inintelligence du régisseur de notre théâtre, M. Lorant (de l’Opéra). Je veux les redire encore de la même façon aimable, mais sincère, car la mise en scène provoqua samedi au deuxième acte une tempête dans la salle. Le bon public se réjouit fort des rideau de nuages rapiécés et sales qui descendent pour clore dans l’avant-scène brillamment éclairée — la nuit — ce pauvre Sigurd qu’obsède le pâle sourire de la blonde Hilda, et pour permettre à des machinistes facétieux de nous offrir une petite séance d’ombres chinoises non prévues par MM. de Locle et Reyer ; il se divertit également des trappes