Page:Revue Musicale de Lyon 1904-10-23.pdf/8

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
4
revue musicale de lyon

WAGNER
et les Théâtres Allemands

M. Pierre Lalo, le critique musical du Temps, s’efforçait dernièrement, dans un de ses feuilletons hebdomadaires, qui fut très remarqué, de démontrer la décadence du wagnérisme et l’avènement d’un art nouveau marqué par une réaction très sensible contre la formule du maître de Bayreuth. Je n’ai ni la compétence, ni l’autorité de mon distingué confrère ; il me permettra cependant de ne pas partager entièrement son avis, et de me ranger plutôt du côté du correspondant anonyme qu’il prétendait réfuter. Je lui concède très volontiers que les disciples immédiats de Wagner, eux qui se sont proposé de le prendre pour modèle, n’ont en général réussi à produire que des ouvrages assez médiocres, et que ceux des compositeurs contemporains qui se sont fait un nom et une place dans l’art musical, les d’Indy, les Debussy, les Dukas, accusent, au contraire, une tendance très nette à s’orienter dans une voie différente. Mais qu’est-ce que cela prouve ? Que c’était une présomption et un tort de vouloir imiter Wagner, et nullement que son génie soit moindre qu’on ne l’avait cru, ou que sa puissance d’action sur le public ait diminué. En réalité, il n’y a pas d’expression plus vide de sens que ce mot de wagnérisme, dont on a tant abusé, et je ne conçois pas ce que M. Lalo se propose de nous faire entendre quand il nous dit que le wagnérisme est en décadence. Il ne peut pas plus y avoir de wagnérisme qu’il ne peut y avoir de dantisme ou de shakespearisme — qu’on me pardonne ces barbarismes — parce que des hommes comme Wagner, comme Dante et comme Shakespeare sont des être exceptionnels, des surhommes, aurait dit Nietzsche, qui portent en eux tout un monde, qui sont à la fois un commencement et une fin, et que c’est leur faire injure, ou plutôt les méconnaître complètement, que de les considérer simplement comme des précurseurs, comme les initiateurs d’une évolution susceptible de se développer ou de s’achever avec d’autres. Wagner n’est pas un chef d’école ; il est, à lui seul, un cycle entier.

C’est pour ne l’avoir pas su discerner que se sont égarés et annihilés tous ceux qui ont cherché à marcher sur ses traces, et c’est ce qu’a très bien observé et fait ressortir, au contraire, il n’y a pas longtemps, dans la Revue des Revues du 15 février dernier, un critique non moins avisé, mais peut-être plus juste que M. Lalo, M. Camille Mauclair, qui, lui aussi, a pronostiqué la mort du wagnérisme — toujours ce mot ! — sans aller toutefois, pour le besoin de sa thèse, jusqu’à discuter le mérite de l’auteur et à dénigrer ses œuvres, en les traitant d’ennuyeuses. Pour s’essayer à continuer Wagner, il eût fallu avoir autant de génie que lui, et, même dans ce cas, il eût été impossible de lui rien ajouter. Pourquoi s’obstiner, dès lors, dans la poursuite d’une tâche aussi vaine que puérile ? La pyramide de Chéops, la Divine Comédie de Dante, Macbeth et Othello de Shakespeare, la Ronde de nuit de Rembrandt, Tristan et Ysolde, Parsifal et la Tétralogie de Wagner sont, dans des ordres divers, des monuments d’une envergure tellement surhumaine, qu’à prétendre en édifier de pareils, on ne saurait courir que le risque certain de donner la mesure de son impuissance.

Je comprends donc très bien que des esprits avisés et des intelligences d’élite aient reconnu l’inutilité de demeurer attachés à une esthétique aussi personnelle que celle dont s’était inspiré Wagner, et que, fascinés d’abord par l’éclat de cet astre de première grandeur, des hommes tels que d’Indy, Debussy et Dukas aient