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daigneux, sont les amoureux de l’idée rare, du mot chatoyant, de la forme riche et luxueusement orientale. Après avoir enguirlandé les Poèmes d’E. Haraucourt, M. Kœchlin s’inspire d’admirables ciseleurs de vers, Leconte de l’Isle et J.-M. de Heredia. Ainsi furent mis en musique Epiphanie, Midi, Le Colibri, du premier, et la Prière du Mort, du second. Des harmonies lointaines, sur des quintes mystérieuses, un hymne aérien, qui plane à l’aigu d’un orchestre invisible, c’est Épiphanie ; c’est aussi la Norwège, pays des lacs de cristal et des fiords sauvages, cadre frais où

Elle passe tranquille en un rêve divin…

Le chant d’amour et d’extase infinie s’anime peu à peu, prend une forme plus tangible, débarrassée des arpèges étincelants et ensorceleurs. Mais nous ne sommes encore qu’à mi-chemin entre le rêve et la brutalité de l’existence : malgré l’accentuation de la phrase chantée, les triolets rythmés et berceurs de l’accompagnement nous maintiennent dans une tranquillité extatique, où nous la regardons passer, fantôme léger

Dans les plis de sa robe immortellement blanche.

Ce n’est pas encore la terre… et la mélodie se clôt, imprécise, dans la muette interrogation d’un pianissimo imperceptible.

Midi gagnerait beaucoup à être entendu à l’orchestre, pour lequel il a, du reste, été écrit ; la réduction au piano permet difficilement de faire valoir les puissants trémolos, où se trouve comme concentré le flamboiement splendide de l’air embrasé. À noter le vigoureux élargissement de la déclamation volontairement uniforme, au début, sur l’apostrophe célèbre :

Homme, si, le cœur plein de joie ou d’amertume… !

Avec Le Colibri, nous retrouvons le Kœchlin, précieux et charmeur, de Dame du Ciel. Un duo de flûtes, à la tierce — souvenir d’un procédé cher à Massenet — de délicats attendrissements sur les grâces surannées, mais exquises d’un siècle à jamais disparu, une fine allusion aux « chansons frêles du clavecin », tel est le Menuet (Gregh), pastel d’antan,

Qui s’anime, rit un instant,
Puis s’efface

Et voici, sur une lente et chromatique succession de sombres accords — la Prière du Mort, plainte persistante et douloureuse d’une ombre — dernier vestige d’un Hellène lâchement assassiné et privé de sépulture — qui erre lamentablement aux bords de l’Orbe…

M. Kœchlin est un vrai « jeune » : lui-même n’en a-t-il pas convenu ? Si l’avenir s’ouvre, glorieux et nouveau, devant son juvénile enthousiasme, son passé artistique est de ceux que l’on ne renie pas, mais sur lesquels on s’appuie, pour s’élancer avec plus d’énergie à la conquête des innombrables manifestations de la Vie et du Beau. Pourquoi M. Kœchlin ne serait-il pas un jour notre Schubert, notre Schumann, ou notre Grieg ? Possédant à un tel degré l’élégance de la forme, le souci de la vérité dans l’expression, le sens de l’union intime qui attache la musique à la poésie, il se doit et il nous doit de travailler à l’établissement d’un genre musical mixte, également affranchi des banalités de la romance et des bizarres et factices mélopées, qui sont la peu enviable création de certains auteurs modernes.

Henry Fellot.

Voici la liste complète, par ordre chronologique, des œuvres de Charles Kœchlin :

Op. 1. — Cinq Rondels de Th. de Banville (1re  série) et Le Renouveau de Charles d’Orléans (Bellon et Ponscarme, éditeurs, successeurs de Bandoux et Cie).

Op. 2. — Épopée de l’École Polytechnique, musique écrite pour le centenaire de l’École Polytechnique, en 1894 (Chez l’auteur).