Page:Revue Musicale de Lyon 1904-05-04.pdf/5

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
329
revue musicale de lyon

chanter les grandes œuvres du répertoire, d’où disparition de l’opéra que l’on pouvait du reste difficilement chanter, la troupe ne comprenant pas de contralto.

Cette suppression intempestive de l’opéra mécontentait fort les nombreux admirateurs de Meyerbeer et d’Halévy et d’autre part, certains artistes se trouvant inemployés, elle ne laissait pas de causer un certain trouble dans la marche des représentations : Mlle Claessen, falcon, par exemple, n’avait plus de rôles. Aussi, pour l’occuper, lui faisait-on remplacer Mlle Janssen dans le répertoire wagnérien dès la deuxième représentation de chaque œuvre, et ceci au grand préjudice des finances du théâtre, les spectateurs s’abstenant en masse de venir entendre Lohengrin, Tannhæuser ou le Crépuscule des Dieux lorsque ces ouvrages n’étaient pas interprétés par notre grande artiste wagnérienne.

Avec cette désorganisation, ce gâchis, point de répertoire et point de public : dès lors, la régie était obligée d’accumuler les relâches et les représentations dites populaires, à prix réduits, qui occupèrent complètement le mois de mars et constituent vraiment le grand scandale artistique de la saison.

Je tiens à signaler ces représentations populaires car l’administration municipale se vantera sans doute un jour de les avoir instituées en si grand nombre. Or, quoiqu’il ne soit pas permis de juger les intentions, j’affirme que ces représentations n’ont pas été organisées dans un but socialiste (ce mot étant pris dans sa plus large acception) : si la saison avait été fructueuse, on ne se serait pas aperçu que les prix du théâtre sont trop élevés pour toute une partie du public et l’on aurait maintenu le tarif habituel ; ce qui le montre bien, c’est que jamais ne fut donnée une représentation à prix réduits du Crépuscule, ou des autres œuvres qui eurent du succès.

D’ailleurs toutes ces représentations dites populaires, sans en excepter une seule, étaient inconvenantes et constituaient un véritable défi lancé au bon public. Nos lecteurs qui n’ont assisté cet hiver qu’aux bonnes soirées du Crépuscule ou de Lohengrin ne s’imagineront jamais ce qu’ont été les représentations populaires de Faust, et de Carmen par exemple. Il faut avoir entendu ces œuvres interprétées par Mme Davray, MM. Boulo, Viviani ou Echenne<rer>Nous avons entendu ce dernier artiste, porté au tableau de la troupe comme troisième ténor, chanter dans Carmen le rôle du brigadier écrit pour baryton !</ref>sous la direction de M. Archaimbaud, pour se rendre compte de la désinvolture avec laquelle l’administration municipale traite le public lyonnais. Jamais on n’eût toléré autrefois de pareilles représentations ; le directeur du théâtre eût été rappelé à l’ordre, et le public lui-même eût manifesté de façon bruyante son légitime mécontentement ; aujourd’hui l’amateur ne peut pas estimer médiocre un artiste quelconque sans être accusé de faire de l’opposition de parti-pris à l’administration municipale…

Telle fut cette saison 1903-1904 : deux mois de relâche, une quarantaine, au plus, de bonnes représentations dont nous sommes redevable uniquement au chef d’orchestre, M. Flon[1] et, pour le reste, le scandale des représentations à prix réduits.

J’avoue avoir été, à l’origine, partisan du système de la régie municipale. Les expériences malheureuses des deux premières saisons sont peu encourageantes. Mais pourquoi l’administration municipale, qui doit souhaiter le succès du système qu’elle a inauguré, conserve-t-elle à la direction du théâtre un homme dont

    on aurait pu jouer Lohengrin ou une autre œuvre qui aurait fait 4.000 francs de recette. Telle fut toujours l’admirable logique de M. Broussan.

  1. On sait que M. FLon, déjà assez occupé par l’étude des partitions et la direction de l’orchestre, fut obligé, pendant toute la saison, de s’occuper aussi de la régie de la scène, le régisseur titulaire manifestant à chaque instant une incapacité parfaite et une ignorance absolue de son métier.