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C’est dans une période de maladie qu’il écrivit cette partition, car le loisir seul des repos forcés ou des vacances qu’il passe chaque été au pays basque, donne à Charles Bordes, l’occasion d’écouter l’inspiration qui chante en lui ».

Nous avons indiqué les caractéristiques du talent de Bordes : spontanéité, liberté de l’inspiration, dédain des formules toutes faites et des élégances, qui plairont aux snobs de la musique. Chez ce compositeur loyal et sincère, il ne faut pas chercher les raffinements subtis, les harmonies torturées, le style alambiqué, qui sont l’apanage de nombre de « jeunes », intéressants par la facture étonnante parfois, dont ils entourent d’insupportables élucubrations. À la différence de ces esthètes décadents et moroses — Charles Bordes ne craint pas de chanter, d’exprimer la joie, d’avoir des idées claires : sans doute, la nostalgie vague de Verlaine, la tristesse sans cause de la Bonne Chanson lui ont inspiré et lui inspireront encore ses plus belles pages ; mais cette rêveuse mélancolie n’est pas l’indice d’une âme découragée, d’un tempérament de neurasthénique désabusé. En dehors de son œuvre — où flottent un sain parfum rustique, un amour ingénu et profond pour les animaux, les bois et le ciel bleu, qu’on aperçoit dans ses Lieder, comme au milieu de verts et épais feuillages — toute la vie de Charles Bordes indique l’activité robuste d’un esprit énergique, le dévouement désintéressé et sans bornes à la musique, qu’il aime exclusivement et pour elle-même, à la façon de son maître, le bon et modeste César Franck.

L’art de Bordes est original, bien à lui, fait de naturel, de santé, de franchise primesautière : au seul point de vue musical, il doit peu à l’auteur des Béatitudes, dont l’influence morale, par contre, fut considérable sur le chantre de Verlaine. Souhaitons que Ch. Bordes n’oublie pas, dans son rare dédain du succès personnel, que ses contemporains réclament, à juste titre, l’utilisation de qualités si précieuses de naturel, d’invention mélodique et rythmique : à quand donc, alors, la publication impatiemment attendue, du drame chanté : Les Trois Vagues, dont l’orchestration, croyons-nous, est à peu près terminée, et qui consacrera définitivement la réputation artistique du jeune directeur de la Schola ?

(À suivre).

Henri Fellot.

Chronique Lyonnaise

GRAND-THÉÂTRE


Deuxième cycle de la « Tétralogie »

Le deuxième cycle de l’Anneau du Nibelung nous a procuré le plaisir d’entendre M. Rouard dans le rôle de Wotan de l’Or du Rhin. Ce fut vraiment une révélation, et jamais le mot de parodie, prononcé plus d’une fois au cours des représentations de la Tétralogie par des grincheux ou « mauvais bergers », ne fut mieux justifié. Le baryton ordinaire de notre troupe lyrique nous a donné un Wotan d’opérette qui, avec la Fricka de Mme de Marsan, forme ce qu’on est convenu d’appeler « un ménage bien assorti ». Il nous semble impossible d’être, plus que M. Rouard, dépourvu de style, de goût et d’intelligence dramatique. Alberich, de Siegfried, fut du reste aussi mauvais que Wotan de Rheingold et la dispute du gnome avec son frère Mime fit naître, chez les auditeurs, suivant leur tempérament, une douce hilarité, ou une vive indignation qui se traduisit par quelques coups de sifflet.

Mme Domenech fut remplacée par Mlle Pierrick tout à fait remarquable dans l’évocation d’erra de la première journée.

Dans la Walkyrie Mlle Janssen et M. Seguin furent admirables, M. Gauthier très médiocre avec son masque inexpressif et sa voix souvent incertaine, Mlle Claessen d’une froideur déconcertante à rendre jaloux M. Flon lui-même, qui conduisit toute la scène d’amour du premier acte dans un mouvement d’une lenteur exagérée.

M. Seguin, dans Siegfried, chanta le rôle du Voyageur et n’eut pas de peine à faire oublier son prédécesseur ; c’est à lui sans doute que nous devons au premier acte, le rétablissement des réponses du Mime que l’on avait coupées pour le premier cycle.