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Avant d’arriver aux Quatre Poèmes de Francis Jammes, qui représentent à mon sens, la partie capitale et péremptoire de l’œuvre de Charles Bordes, je dois signaler un charmant Duetto, pour soprano et ténor. L’Hiver sur une poésie de Maurice Bouchor[1], ainsi qu’un Madrigal à la musique, du même auteur. Cette dernière pièce est écrite pour 4 voix sans accompagnement, en style ancien, destinée aux Chanteurs de Saint-Gervais, et fut chantée par eux à la Salle Pleyel en 1896 et publiée aussitôt chez Bandoux ; elle offre, dans le genre profane du madrigal, les mêmes qualités que les motets, composés par Bordes dans le genre sacré.

Chaque numéro des Quatre Poèmes de Francis Jammes[2], est dédié à l’un des membres du quatuor vocal de la Schola. On peut immédiatement les répartir en deux groupes : le premier Lied La poussière des tamis chante au soleil, pour soprano, avec un rythme d’accompagnement enjoué et comme volatil, qu’interrompent parfois une mesure de silence ou un joyeux carillon — jolies trouvailles qui excitent la surprise et retiennent l’intérêt — le troisième, Oh ! ce parfum d’enfance dans la prairie ! d’une forme libre et absolument franche, sur un rythme frais et pimpant, que traverse ingénieusement le thème du Lauda Sion salvatorem, exposé par le piano — expriment l’un et l’autre des sentiments de bonheur et apportent une suave impression de calme et de fraîcheur. Les deux autres mélodies, au contraire, pour mezzo et pour basse, présentent un caractère accentué de tristesse et de désespoir.

La Paix est dans le bois silencieux débute par un paysage contemplatif, aux sonorités lentes et très-expressives, sur lesquelles se pose la déclamation purement descriptive. Au piano, se dessine un thème douloureux en ré mineur que vient égayer, par instants, la fantaisie de notation pittoresques, telles que :

Une grive se posait haut
C’était tout.

ou la paraphrase musicale d’observation réalistes, analogues à celle-ci :

Pendant que ma chienne et mon chien fixaient une mouche, qui volait et qu’ils auraient voulu happer, je faisais moins cas de ma douleur.

Et aussitôt le trait significatif délicatement ajouté au tableau, dont il rehausse le coloris, l’impression du début s’affirme, de nouveau, calme et noble, dans la sérénité d’un beau jour d’été.

Il y avait parfois, dans les premières mélodies de Charles Bordes, quelque « décousu ». Et cela provenait sans doute du souci constant, pour ce musicien, de suivre vers à vers le poète. Nous avons noté, à propos du second des Quatre Poèmes, le goût de Francis Jammes pour les idées incidentes, qui viennent accessoirement se mêler à l’impression générale : cette tendance aurait pu nuire au compositeur, amoureux du détail et de l’adéquation de la parure musicale aux subtilités de la pensée poétique. Il n’en est rien : quand une incidente, semblable à celles que nous citions, se présente, peu propice aux développements musicaux, adroitement Charles Bordes conserve l’unité par la persistance du rythme de l’accompagnement, et le chant léger ne fait que présenter une sorte de délicat divertissement.

Il serait plus utile de mettre en garde M. Bordes contre certains hiatus et vocables qui en musique, ne font pas bien, tels que : échelonnementchats-huantshouxboueuxchère, pour peu que tu te bouges et autres expressions tout au moins singulières, qui gagneraient à ne pas être translatées sous forme musicale.

La dernière mélodie de la série : Du courage ? Mon âme éclate de douleur, pour basse, en fa mineur, est d’une facture générale très coupée et très dramatique, où de violents cris de passion interrompent à plusieurs reprises un cantabile, large et expressif, sur un rythme obstiné.

« Ces quatre poèmes, selon M. Servières, furent dit dans la salle de la Schola, le 13 décembre 1901, par Mmes de la Rouvière, Joly de la Mare, MM. David et Gébelin. C’est là que, l’hiver précédent, avait été chanté le dialogue spirituel : Domine, puer meus jacet, sur la guérison du serviteur du centurion. Bordes montra, dans ce genre si difficile, ce qu’on peut obtenir, comme intensité dramatique, du système de la polyphonie vocale.

  1. Chanté à une séance de la Société Nationale, le 10 janvier 1891, par Mlle E. Blanc et M. Imbart de la Tour.
  2. Édition Mutuelle de la Schola Cantorum.