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revue musicale de lyon

manque une maîtrise suffisante de l’orchestre. Toutefois, telle qu’elle est, sa partition est fort bien adaptée au charmant libretto de Catulle Mendès, et il en émane une séduction incontestable, à laquelle il est bien difficile et point du tout nécessaire de se soustraire. Si nous faisons une petite escapade hors Paris, mentionnons deux œuvres nouvelles : le Roi Arthus, de Chausson, à Bruxelles, et Hélène, de Saint-Saëns, à Monte-Carlo. Ceux qui ont vibré à l’intense mélancolie des lieder de Chausson, aux beautés nobles de sa musique de chambre, s’en sont allés, en un pieux pèlerinage, écouter son Roi Arthus. Ils ont été déçus. Ce triste et concentré rêveur, qui n’a jamais été plus sublime que quand il chante les détresses les plus profondes de l’âme humaine, n’avait pas, pour employer un mot bien laid, la dose d’objectivation nécessaire pour faire un drame.

C’est Chausson seul que nous aimons dans l’œuvre. Les personnages y sont peu vivants et nous laissent froids. Dans Hélène nous avons retrouvé un Saint-Saëns toujours jeune, toujours épris de belle clarté attique, toujours aussi sûr dans le maniement des ressources orchestrales.

Enfin, dominant la saison lyrique, nous avons eu, en décembre, la première à Paris de l’Étranger. Je n’insisterai pas sur cette œuvre que vous connaissez dès longtemps dans tous ses détails. Je n’en goûte pas beaucoup le symbolisme mi-chrétien et mi-kantien ; mais la partition musicale seule nous intéresse ici, et il faut reconnaître qu’il y a dans le deuxième acte toute une partie où la critique perd ses droits. Ici, impossible d’analyser, de disserter, de discuter. Vous êtes sous la domination du génie, un puissant courant vous emporte et vous soulève. L’art est si parfait que vous l’oubliez, il n’est plus qu’un instrument au service d’une volonté supérieure qui vous domine et vous dirige à sa guise.

(À suivre)

J. Sauerwein
LIEDER FRANÇAIS
(suite)

Charles BORDES

(suite)

Tristesse (1885) est d’une excellente écriture mélodique, quoique la facture en soit très simple, sur des accords tenus, d’une expression intense et d’un caractère enveloppant. Green (encore inédit en 1887) et Spleen (1886) traduisent remarquablement les vagues et mélancoliques rêveries de Verlaine. J’aime surtout Spleen, dont la cantilène tendre de l’accompagnement s’oppose, de façon intéressante, aux flottantes harmonies qui soulignent les vers descriptifs du poète[1].

Plusieurs mélodies de Charles Bordes ont été écrite, pour chant et orchestre, puis réduites au piano. Ce sont : Promenade matinale (1896), Sur un vieil air (1895), La Ronde des Prisonniers (1900), Épithalame (1888), sur des poésies de Verlaine, enfin une pièce inspirée de Camille Mauclair : Mes cheveux dorment sur mon front (1901). Ainsi que le merveilleux Lied : Dansons la Gigue ! (Verlaine) — plein d’humour et de sentiments, au rythme approprié, sur un thème incisif et verveux, qui commente tour à tour les souvenirs attrités et délicats de l’amant et les bruyants éclats du refrain sonore[2] — ces œuvres présentent de belles qualités de spontanéité et de franchise, dans l’inspiration. L’orchestre de Bordes est souple et vigoureux, réduit au piano, il conserve une sincérité louable de rythmes et d’accents.

Notamment, la Promenade Matinale, idylle d’une élégante simplicité, me plaît par d’heureux détails d’accompagnement et une légèreté charmante, dans l’atmosphère rustique,

  1. Signalons seulement, parmi les œuvres de la même époque, le Lied inédit, J’allais par les chemins perfides, chanté à la Société Nationale le 16 mars 1889.
  2. « Au concert avec orchestre, donné par la Société Nationale, le 21 août 1890 — raconte M. Servières — fût chanté Dansons la Gigue ! sur les vers de Verlaine. Ce fut le premier succès franc de Bordes… Deux ans plus tard, la Société Nationale s’offrit le luxe d’un concert à orchestre, dans la salle du Conservatoire. On avait réuni sur le programme, les œuvres les plus marquantes, des membres les plus en vue de la Société. Le ténor Engel y fit acclamer et bisser par tout l’auditoire la pièce vocale et symphonique de Bordes ».