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s’éteint ; c’est elle qui va rejoindre là-bas. Cette histoire aussi est-elle nouvelle ? Siegfried vit et respire à côté de nous ; c’est nous-mêmes.

Mais Brunhild domine tout. Walkyrie, notre déesse, d’abord radieuse dans sa joie divine, s’émeut et s’attendrit jusqu’au sacrifice pour sauver les malheureux. Elle est déchirée par le châtiment injuste que lui inflige Wotan, la déchéance de sa virginité céleste.

Elle s’est endormie déesse, elle se réveille femme. Vierge encore, elle salue magnifiquement la nature. Puis, quelle ivresse sublime, quand l’anneau de Siegfried l’a toute pénétrée. Avec quel tranquille dédain elle repousse le pardon de Wotan. Rien n’existe plus que l’amour. Épouse trahie, elle a un moment de désespoir, elle écoute la basse vengeance ; elle livre Siegfried. Mais comme elle méprise les assassins, comme elle met au-dessus d’eux son Siegfried, comme elle l’aime toujours. Je ne crois pas que rien ait été jamais écrit de plus grand, de plus noble que la mort de Brunhild. Devant le cadavre de Siegfried toute bassesse est oubliée. Il ne s’agit même pas de pardon. Brunhild a tout compris. L’amour, c’est la loi suprême. Non plus le simple amour de Siegfried, mais l’amour impersonnel et divin. Elle rejette au Rhin l’or, source des discordes et des haines. Ce que je dis n’est point une impiété ; mais chaque fois que j’ai la joie de vivre et de mourir avec Brunhild, je ne peut m’empêcher de songer à Christ sur sa croix, offrant à tous l’oubli et la paix.

En résumé, il faut voir dans la Tétralogie, au-dessus du poème et de l’affabulation, la peinture émue et puissante de l’humanité : nos petitesses et nos grandeurs, nos joies et nos souffrances, la trahison et le dévouement, la bonté sublime et la méchanceté cauteleuse, la ruse et la naïveté, dominant tout l’oubli divin et religieux de toutes les fautes et de toutes les misères.

Il faudrait, certes, du génie pour figurer de tels rôles comme il convient. Malgré tous les efforts, tout le travail, tout l’enthousiasme, les meilleurs se sentent faibles et impuissants. Où trouver aussi la force physique nécessaire ? Le théâtre de Lyon est mal préparé pour représenter ces immortels chefs-d’œuvres. L’orchestre y est trop près des chanteurs. Il y fait trop de bruit, beaucoup trop de bruit, malgré la bonne volonté et le talent des instrumentistes et de leur chef, qu’on ne saurait trop louer, car eux ont été les meilleurs.

Quoiqu’il en soit, Lyon peut légitimement être fier. Son théâtre cesse peu à peu d’être un lieu de distraction médiocre. On s’y efforce vers l’art. La marche est pénible, sans doute. Mais la passion désintéressée du Beau élève et grandit. La seule joie des vrais artistes, c’est de contribuer à cette culture haute et noble, par laquelle seule les hommes peuvent se consoler de tout.

Louise Janssen.

L’Année Musicale à Paris

La vie musicale à Paris est de jour en jour plus intense, plus variée et plus multiforme dans ses tendances et ses manifestations. Il en résulte, pour l’observateur qui veut se retourner et jeter sur une année écoulée un regard général, un premier aspect chaotique, qui d’abord le décourage. Mais peu à peu l’élimination d’un certain nombre d’œuvres et d’exécution s’impose : et pourquoi ? C’est que nous voulons, non pas donner au public Lyonnais un Kaléidoscope confus où grouillent les noms et les œuvres ; mais, s’il nous est possible, quelques tendances directrices, quelques caractères neufs et