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Tannhauser, de son Lohengrin, des continuels soucis d’argent, R. Wagner après avoir proposé de nouveaux projets financiers pour attirer les éditeurs récalcitrants ou apaiser les créanciers crie ses appels désespérés à Liszt :


Mes affaires vont très mal, il me faut de l’argent, mais surtout une personnalité ayant la plus absolue confiance dans mes succès futurs ? Toi seul, cher Frantz, peut me trouver cet homme-la, car tu es le créateur de l’homme que je suis devenu, je vis aujourd’hui par toi, tu as donc un devoir étroit à remplir. Il ne s’agit que d’une question d’argent, d’une chose possible. À l’amour j’ai renoncé ? quant à l’Art ?  ? Je n’ai plus la foi, je n’ai plus qu’un espoir, celui d’un sommeil, d’un sommeil si profond, si profond que tout sentiment des misères de la vie soit effacé. Ce sommeil-là, je devrais pouvoir me le procurer, ce n’est pas difficile.


Cet âpre désir du sommeil libérateur, de la fin (das Ende) apaisante, Wagner le transmettra avec tout son désespoir, sa torturante envie à Wotan (Walkyrie scène iii acte ii) et à Kundry (Parsifal acte ii).


En ce moment j’écris la partition de l’Or du Rhin avec l’orchestration. Il m’a été impossible d’écrire sous forme d’esquisse le prolongue (la profondeur du Rhin), j’ai donc écrit la partition complète, aussi suis-je las et la tête malade.

Zurich, 7 février 1854.

R. W.


Remerciant Liszt de l’envoi de son choral — les Artistes — le félicitant, peut-être sans grande sincérité !) d’avoir tiré les vers de Schiller de leur existence littéraire pour les crier au monde au son éclatant des trompettes, R. Wagner ajoute :


Ma manière de concevoir le rapport entre la musique et le vers parlé s’est modifié entièrement, il me serait impossible à présent de composer une mélodie sur des vers de Schiller qui sûrement ne sont faits que pour être lus. On ne pourrait procéder avec ces vers que d’après un certain arbitraire musical, et comme la mélodie n’arrive jamais à couler franchement, cet arbitraire nous entraîne à des digressions harmoniques, à des efforts inouïs pour donner des ondulations artificielles à la source où disparaît la mélodie. J’ai vu tout cela, aussi ai-je complètement transformé ma composition, j’ai fait rouler toute l’introduction instrumentale de l’Or du Rhin, sur l’unique accord de mi-bémol.


Deux mois plus tard, Wagner réconforté, a repris son labeur avec entrain :


L’orchestration de l’Or du Rhin marche bien, je suis, à présent, descendu avec l’orchestre dans Nibelheim, en mai tout sera fini sauf la mise au net, car tout est écrit au crayon presque illisiblement et sur des feuilles détachées et en juin je commencerai la Walkyrie (Zurich 9 avril 1854).

Ne cherche pas de copiste pour moi, car une amie m’a fait cadeau d’une plume d’or inusable, qui refait de moi un calligraphe doublé d’un pédant. Les partitions seront ce que j’aurai produit le mieux en calligraphie ! Nul n’échappe à son destin ! N’oublie pas ce que Meyerbeer admirait le plus dans mes partitions, ma belle écriture… je suis donc condamné à écrire de jolies partitions pendant toute ma vie ! Tu ne verras l’Or du Rhin que dans la forme rêvée pour lui, ce sera pour l’hiver, à présent j’aborde la composition de la Walkyrie que je sens délicieusement frémir dans tout mon être. On m’appelle, un aigle a passé au-dessus de la maison. Bon présage. Voici l’aigle, les hirondelles étaient très inquiètes. Adieu, sous les auspices de l’aigle !


Les alternatives d’épuisement, de redressement, les abandons, les reprises du grand travail de composition, les joies absolues du créateur, les inquiétudes du doute non de l’œuvre en elle-même, mais de son existence scénique, apparaissent, fleurs parfumées ou délétères dans toutes les lettres de plus en plus fréquentes entre Zurich et Weimar : de Weimar, Liszt et son admirable amie la princesse Caroline de Sayn-Witgenstein ne cessent, sans lassitude, d’entourer le pauvre exilé, de leur fidélité la plus affectueuse, la plus délicate.

À ce moment, l’âme désemparée de R. Wagner rencontrait l’esprit supérieur et tentateur d’un philosophe mé-