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du foyer d’Hunding fait étinceler la poignée de Nothung fichée au tronc du frêne, c’est encore une lampe électrique qui brille en même temps que s’éteint soudainement le foyer d’où devrait venir la lumière ; et cette lampe malencontreuse, tour à tour or précieux et glaive éclatant, manque régulièrement son entrée en s’éclairant trop tard dans le Rheingold et, par compensation, en brillant six mesures trop tôt dans la Walküre.

Dans cette dernière œuvre, une tradition absurde, dont nous sommes redevables à l’Opéra de Paris veut que, au premier acte, quand la porte de la demeure d’Hunding s’ouvre et laisse voir le paysage printanier baigné dans la clarté de la lune, le fond tout entier de la scène s’effondre, catastrophe inexplicable qui troublerait certainement le plus vaillant des Wälsungen et ne lui permettrait pas de chanter à Sieglinde ravie ce délicieux chant d’amour dont M. Gauthier fait une romance banale.

Dans la Walkyrie encore, c’est au deuxième acte, le combat de Siegmund et de Hunding où une projection violente nous permet de voir Wotan et Brünnhilde, momentanément adversaires, debout l’un à côté de l’autre et contemplant froidement cette lutte passionnante avant d’intervenir efficacement.

Et au troisième, une projection rouge inattendue, au moment où Wotan appelle Loge, donne au dieu du Walhall l’allure d’un vulgaire Méphisto.

Du reste, nous avons déjà souvent signalé les inconcevables fantaisies de l’électricien qui prend toujours un malin plaisir à plonger dans la nuit profonde puis, brusquement, à inonder de lumière les personnages que ne semblent pas émouvoir ces cataclysmes effrayants.

Et que de détails à noter : que sont ces petits garçons et ces fillettes, représentant le Nibelungen, apportant aux pieds de Wotan le trésor précieux qu’ils forgèrent en une fâcheuse ferblanterie dont la vue ne devrait pas exciter la convoitise de tous ? Il ne semble pas que M. Dangès, homme superbe en dépit de l’épithète « Alfe chétif » que lui décerne Loge, ait dû avoir beaucoup de peine à les soumettre à sa loi. Et que vont encore ces costumes — celui de Fricka en particulier — dont un régisseur avisé ne devrait pas tolérer l’invraisemblance ? Mais, hélas ! Depuis longtemps nous sommes habitués à ces fautes de détails, et, sans doute, c’est trop exiger d’un régisseur, d’étudier les drames dont il doit régler la mise en scène…

Les Coupures

Les coupures dans la Walkyrie, Siegfried et le Crépuscule des Dieux sont très importantes et nous semblent peu justifiées ; bien que l’administration ait manifesté plusieurs fois de délicates attentions pour le public qu’elle a peur de fatiguer par des spectacles trop longs[1], nous pensons que, pour « révéler » en France l’œuvre de Wagner, il eût été bon d’en donner au moins une audition intégrale. Le public qui vient entendre la Tétralogie aurait bien supporté de sortir du théâtre, trois jours de suite, une demi-heure après minuit. Du reste ces coupures, telles celles du deuxième acte de la Walkyrie et aussi celles, invraisemblables, pratiquées à tort et à travers dans le dialogue du premier acte du Crépuscule rendent parfaitement inintelligible le drame wagnérien. Mais M. Flon qui les a pratiquées, s’inquiète uniquement de l’exécution orchestrale et parait se désintéresser pleinement du drame lui-même ; c’est ce qu’indique nettement la coupe en trois actes du Rheingold, faite d’une façon très arbitraire et, disons le mot, parfaitement inintelligente.

Ainsi à la fin du premier tableau, l’orchestre s’arrête brusquement et sans raison cinq ou six mesures ales le « Las ! » des Ondines et, un quart d’heure après, le tableau du Walhall est précédé, en guise de prélude, d’une introduction qui n’a rien de commun avec lui puisqu’elle doit accompagner la transformation du décor et est bâtie tout entière sur les thèmes de l’Adoration de l’or, de l’Anneau, de la Malédiction de l’Amour qui servent de conclusion à l’acte des Ondines. Même observation pour le deuxième entr’acte ; on finit encore quelques mesures après les mots de Wotan (le rideau se baisse du reste avant que Wotan Loge et Alberich se soient

  1. La direction pense sans doute avec un de nos spirituels confrères que « ce qui est coupé n’est jamais endormant ».