Page:Revue Musicale de Lyon 1904-04-13.pdf/3

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
303
revue musicale de lyon

lance et l’énergie farouche qu’y avait mise le baryton Séveilhac, créateur du rôle. MM. Sylvain (Fafner), Vialas (Mime) et Roosen (Donner) furent très remarquables. Par contre, le Fasolt de M. Bruinen fut bien médiocre et sans autorité.

Mme de Marsan, couronnée comme une rosière, a fait preuve d’une inexpérience vocale et scénique dont rougirait la moindre élève de notre Conservatoire. Mlle de Véry tint avec beaucoup de charme le rôle de Freia. Mmes La Palme, Pierrick (celle-là excellente) et Domenech chantèrent très correctement les trios des Filles du Rhin dont le dernier, à la fin du Rheingold, fut transformé en un simple duo par suite de l’abstention inexcusable de Mlle Domenech.

La Walkyrie

L’interprétation de la Walkyrie ne différait de celle de la reprise récente que par les rôles de Wotan et de Sieglinde chantés par M. Seguin et Mlle Janssen.

Cette représentation nous a permis de nous rendre compte de la haute valeur artistique de M. Seguin qui serait un incomparable Wotan s’il pouvait encore chanter deux actes de suite sans fatigue réelle ; jeudi, en effet, cet artiste fut admirable par la noblesse des attitudes, la sincérité de l’expression et l’autorité inégalée, croyons-nous, dans ce rôle où il est si difficile d’avoir toute la majesté nécessaire sans tomber un peu dans le poncif. Malheureusement la voix de M. Seguin faiblissait peu à peu à mesure que s’avançait la représentation et, si les Adieux de Wotan, chantés à mi-voix, furent dites avec toute l’émotion désirable, les reproches à Brünnhild, l’appel de Loge et l’imprécation finale manquèrent complètement d’éclat.

Mlle Janssen reprenait ce rôle de Sieglinde créé par elle il y a dix ans, et dont elle est l’interprète idéale ; notre collaborateur Edmond Locard a dit assez souvent ici la louange de notre merveilleuse artiste pour que nous n’ayons pas besoin de vanter encore sa grâce et sa grandeur et aussi les qualités de sa voix.

Dans le rôle de Siegmund, M. Gauthier, en dépit de sa belle voix, fut tout à fait médiocre : il nous semble difficile d’être dépourvu plus complètement de ce qui constitue le style wagnérien. Mlle Claessen, Brunhild impassible et de voix un peu faible dans le grave, chante d’un bout à l’autre avec son calme imperturbable de Flamande que rien ne saurait émouvoir.

Siegfried

J’avoue ne pas partager l’enthousiasme excessif d’une partie du public pour l’interprétation générale de Siegfried. M. Verdier mis à part, l’ensemble fut très ordinaire.

M. Vialas, excellent dans l’Or du Rhin, faiblit dans Siegfried ; sans doute il joue intelligemment ce rôle de composition relativement facile comme tous les rôles un peu caricaturaux, mais sa voix est tout-à-fait insuffisante dans le registre moyen et, de ce fait, n’a pu mettre en valeur le début du premier acte dont la tessiture est grave. Alberich, personnifié par M. Rouard qui n’a pu résister, comme toujours, au plaisir de se faire une tête de jeune premier (barbe fine et gracieux accroche-cœur) a été détestable surtout dans sa dispute avec Mime. M. Roselly, remplaçant M. Seguin, fait un Wotan sans grande autorité et à la voix solide mais pâteuse. Mlle Domenech qui a chanté sans grave accroc, est tout-à-fait insuffisante dans Erda dont le rôle, si important pour la compréhension du drame et si beau au point de vue musical, est resté incompréhensible.

Les « bêtes », suivant l’expression de notre excellente basse-noble, c’est-à-dire l’oiseau et Fafner ont été très bien tenus par Mlle La Palme et M. Sylvain. Pour Mlle Claessen, elle a été, comme dans la Walkyrie, très correcte, mais d’un calme, d’une froideur déconcertants.

Il faut mettre hors pair M. Verdier que sa création de Siegfried classe définitivement parmi les meilleurs interprètes wagnériens actuels. Sans doute, sa voix est défectueuse, son médium très faible et certains wagnériens très purs pourront lui reprocher tel petit détail de jeu, mais l’excellent ténor donna un relief extraordinaire à son personnage ; il traduit intensément le caractère joyeux, insouciant, du vaillant héros, portant en lui la joie, l’ardeur, la lumière et la gaité, de la « joyeuse brute » qui ne sait rien et réussit en tout, qui forge l’épée Nothung sans connaître l’art du forgeron, se débarrasse de tous les gêneurs,