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revue musicale de lyon

pour piano de l’Or du Rhin avec celle de la Walkyrie.


Je brûle de savoir comment tu trouveras le dernier acte, car en dehors de toi je n’ai personne à qui je puisse le communiquer. Il est réussi, c’est probablement ce que j’ai écrit de mieux jusqu’à ce jour. C’est une terrible tempête, tempête des éléments et tempête des cœurs, qui s’apaise graduellement pour finir par le sommeil de Brünnhilde.


L’enthousiasme de Liszt et de la princesse Witgenstein fut sans limites, et la charmante Princesse en témoigne par cet adieu rayonnant d’émotion et de joie :


Le duo de Siegmund et de Sieglinde m’a fait pleurer de grosses larmes. C’est beau comme l’Amour, comme l’Idéal, comme la Terre et les Cieux !


De plus en plus irrité par l’avortement de ses plans financiers, de ses appels aux souverains d’Allemagne, déçu par l’attente prolongée de l’amnistie, épuisé par le travail et la lutte de chaque jour, R. Wagner décourage soupirant ainsi que Tristan, à la délivrance finale, abandonne sous le tilleul, son Siegfried tant aimé, écoutant déjà l’oiseau-annonciateur de Brünnhilde. Le poète musicien, torturé aussi par une révolution d’âme, cherche dans la nuit, l’écharpe blanche d’Isolde, et avec elle le gouffre de l’ivresse et du repos infini… Fraternellement, Liszt, noble et bon, comprenant les souffrances, les merveilleuses cruautés endurées par son ami toujours exilé, Kurwenal fidèle, ne se lasse pas un instant dans sa mission volontaire d’encouragement, de surveillance, d’admiration profonde, d’oubli de lui-même.


Je me suis senti fier pour mon siècle qui possède un homme tel que toi ; c’est la fin du monde des opéras, l’esprit flotte sur les eaux, et la lumière se fait. N’abandonne pas Tristan, car bientôt il te conduira triomphant à Siegfried.


Peu de temps après ce conseil prophétique, le Hongrois magnanime adressait au Saxon malheureux sa symphonie de Dante avec cette dédicace, couronne égale pour les deux Amis :


De même que Virgile a guidé Dante, de même tu m’as guidé à travers les mystérieuses régions de ces mondes de la musique si pleine de vie. Je te crie du fond du cœur.

Tu sé il mio maestro, él mio autore !

Je te dédie cette œuvre : reçois cet hommage d’un ami dont l’affection ne se démentira jamais. Franz Liszt (Weimar, Pâques 1859).

J. Tardy.

Chronique Lyonnaise

À propos du « Motu proprio »

La longueur du compte rendu de la Tétralogie m’empêche de m’étendre comme je l’aurais voulu sur la question de la musique exécutée le dimanche de Pâques à la cathédrale de Saint-Jean. Je me bornerai à résumer en deux mots mes observations.

On sait combien sont formels les termes du Motu proprio de Pie x sur la musique sacrée. Le pape indique comme modèle suprême le plain-chant grégorien tel qu’il a été restauré par les Bénédictins[1] et par extension autorise la musique polyphonique palestrinienne, issue de la mélodie grégorienne et admet enfin ce que le génie, au cours des siècles, a su trouver de vraiment beau et rigoureusement liturgique.

(Ce sont là des idées bien connues puisque ce sont celles de la Schola Cantorum propagées par MM. Bordes, Guilmant et d’Indy).

Le maître de chapelle de la cathédrale de Saint-Jean a peut-être cru respecter la lettre sinon l’esprit, du Motu proprio pontifical, en faisant exécuter une messe de César Franck, le maître éminent dont Pie X, comme tout musicien, est certainement un admirateur convaincu. Or, il faut bien le dire, la Messe de Franck, œuvre d’un haut intérêt musical, n’est pas à sa place à l’Église ; c’est une

  1. V. l’étude de M. Jean Vallas, Musiques d’Église, parue dans les derniers numéros de la Revue Musicale de Lyon.