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Clair de Lune ou de la Bonne Chanson) et le recueil se clôt sur le Testament, un peu tourmenté, à mon sens, d’Armand Silvestre.

Quelle place Henri Duparc occupera-t-il dans l’histoire de nos musiciens de lied français ?

Il serait téméraire de vouloir ainsi préjuger l’avenir pour une question délicate qu’il est malaisé à des contemporains de trancher imprudemment. Toutefois lorsque l’on songe à l’époque, où Duparc écrivit les admirables mélodies, que nous venons de passer en revue, à l’originalité et la hardiesse qu’elles témoignent, on ne peut s’empêcher de déplorer — avec tous les admirateurs de ce noble musicien — la retraite volontaire d’un compositeur, dont César Franck répétait souvent qu’il était de toute sa génération, le mieux organisé, comme inventeur d’idées musicales ; sans parler de la vigueur de tempéramment de ce musicien, dont le sentiment dramatique convenait si merveilleusement au théâtre !

Je ne saurais croire, en ce qui me concerne, que Duparc ait vraiment détruit la plupart de ses œuvres anciennes ; on n’anéantit pas ainsi une part de soi-même, la meilleure peut-être, car elle se rattache aux belles années de jeunesse et de vaillance ! « Aussi, conclurais-je avec M. Servières, au nom des admirateurs de Henri Duparc qui déplorent son inaction, j’exprime ici le vœu que, s’il ne produit pas d’œuvres nouvelles, le musicien fasse du moins grâce aux œuvres anciennes condamnées par lui et laisse publier soit les manuscrits originaux, soit les copies qu’en possèdent ses amis. Les productions de la même période, actuellement éditée, nous sont un sûr garant de leur valeur artistique. »

(À suivre).

Henry Fellot.

L’abondance des matières nous oblige à renvoyer la publication de la suite de l’article MUSIQUES D’ÉGLISE, de M. Jean Vallas.


LE GRAND PRÊTRE

de la Musique Classique

C’était à Leipzig, il y a près de soixante ans, dans le salon de Félix Mendelssohn. Le maître venait de jouer la Sonate à Kreutzer, et son partenaire était un tout jeune homme, un enfant. Robert Schumann avait écouté, plein d’une religieuse émotion, tout en contemplant, à travers les fenêtres ouvertes, la splendeur sereine d’une soirée d’été. Quand les interprètes se turent, il se leva, et se tournant vers ses amis :

— Comment, s’écria-t-il, n’existerait-il pas là-haut des êtres pour savoir de quelle admirable manière ce petit garçon vient de jouer avec Mendelssohn la Sonate à Kreutzer ?

Ce petit garçon, était Joseph Joachim, que Paris vient de posséder pendant trois jours. Les 17, 19 et 20 mars, Joachim et son admirable Quatuor ont fait à la Société Philharmonique une solennelle et peut-être dernière apparition : et nous avons entendu le même homme qui, il y a cinquante ans, était déjà regardé par les plus illustres maîtres de la musique allemande comme leur ami, leur égal, au besoin leur conseil et leur directeur.

Joachim symbolise aux yeux du monde musical l’âme même de la grande école classique. Son interprétation de Bach est le modèle des violonistes, l’idéal de suprême expression que tous poursuivent et ambitionnent. Mais c’est surtout sa traduction de Beethoven qui imprime dans le cœur et dans l’esprit des auditeurs une sensation profonde, inoubliable, à jamais dominatrice.

Les derniers Quatuors notamment, dont la pensée est généralement méconnue, deviennent, pour celui qui les a entendu jouer par le quatuor Joachim, intelligibles