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Certaines mélodies du recueil sont d’une expression tendre et mélancolique : tels les deux lieder, écrits sur des vers de Jean Lahor (Sérénade florentine et Extase) et le Lamento de Gautier. Ils sont remarquables par le souci de l’écriture, la suavité des harmonies et l’élégance du rythme. La Sérénade florentine vibre, par instants, d’une note jeune et gaie, avec son leitmotiv de trois notes, qui s’oppose à la terminaison naturelle, par la tonique, sur ces fins de phrases :

La bénédiction des cieux.

et :

D’un astre d’amour qui se lève.

Extase est la plus enveloppante de ces mélodies : c’est un tableau intentionnellement grisaille, volontairement monotone et atténué, brossé sur une seule phrase, qui s’élève peu à peu jusqu’à la passion.

Je n’aime guère, je l’avoue, la poésie de Coppée : La Vague et la Cloche[1], dont le début :

Une fois… terrassé par un puissant breuvage,

rappelle trop, à mon gré, les soporifiques de 1830 et la légende de la Fantastique. Quant à la musique, vigoureuse, dont H. Duparc l’ornementa, elle présente une instrumentation remarquable encore qu’un peu extérieurement descriptive du moins dans la première partie du rêve. Ainsi que le note fut justement M. G. Servières, « l’entrée du carillon de la cloche donne à la mélodie le support d’un rythme très marqué dont l’habileté du symphoniste a tiré des effets très pittoresques ».

Phidylé — chantée à la Société-Nationale, le 8 avril 1893 — est d’un meilleur style mélodique. Véritable « symphonie-miniature », suivant l’appellation très-exacte donnée à ce chef-d’œuvre, elle nous apparaît riche d’intentions descriptives, discrètement réalisées, adaptation subtile et serrée, d’une musique de rêve à la poésie célèbre de Leconte de Lisle.

Après la mise au point du paysage, sur les calmes accords du début (modulant autour de l’accord parfait de la bémol), c’est le lent engourdissement de midi, vibrant de soleil et de chaleur, alors que les abeilles bourdonnent, incitant Phidylé au sommeil :

Repose, ô Phidylé, repose…

Sur ces mots, paraît à l’orchestre un thème mélodieux et berceur, qui reviendra à plusieurs reprises dans le cours du lied, et, après avoir été transformé dans un développement expressif, lui servira de conclusion. Oh ! l’admirable courbe, que nous présente la chute de la phrase musicale, au passage :

Et les oiseaux, rasant de l’aile la colline,
Cherchent l’ombre des églantiers !

Et les voluptueuses et somnolentes syncopes de la basse, mêlant sa voix assourdie au concert des insectes et des fleurs :

Repose, ô Phidylé, repose… !

Dans la paraphrase musicale de cet exquis poème, chantent les mille voix de la nature, dont le crescendo conduit au brillant trémolo qui clame l’accent passionné de l’homme, vainqueur et aimé.

Le Manoir de Rosemonde (paroles de R. de Bonnières) est un cri de douleur et de désespoir ; l’accompagnement en est impétueux et fatal, avec des imitations féroces de chevauchées et de sonneries de moyenâgeuses fanfares retentissant au fond de la forêt, qui dissimule aux regards profanes l’introuvable et inaccessible château. Mais, d’héroïque et sauvage, la muse de Duparc retombe dans son habituelle mélancolie ; de longs sanglots plaintifs soulignent le Lamento, de Théophile Gautier (cette dernière mélodie semble un peu inspirée de la manière de Fauré, mais d’un Fauré plus puissant et plus profond que l’auteur exquis, musicien raffiné, du

  1. Chantée pour la première fois à la Nationale le 13 mai 1877, et plus récemment, Salle d’Harcourt, par M. Auguez, le 23 décembre 1894.