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au chantre du Lied, le seul, du reste, dont l’étude rentre dans le cadre strict de cette monographie.

De 1871 à 1873, Duparc avait écrit cinq mélodies, publiées par la maison Durand-Schœnewerk, et dont les principales, Soupir (Sully-Prudhomme) et Chanson triste, sur des vers de Henri Cazalis (Jean Lahor), ont été rééditées par l’éditeur Baudoux, son ami (Bellon, Ponscarme et Cie, successeurs). À vrai dire, la Sérénade (Gabriel Marc) et la Romance de Mignon, d’après Gœthe, ne sortent guère du cadre, quelque peu banal, des mélodies de salon, agréables, mais sans grande originalité, que Lalo et Saint-Saëns publiaient à la même époque. Toutefois, dans la seconde de ces œuvres, nous rencontrons déjà l’emploi, cher à Duparc, d’un leitmotiv de quelques notes brèves, phrase instrumentale intervenant parmi l’accompagnement ininterrompu de la partie vocale. Ce procédé s’accentuera, en même temps qu’augmentera l’habileté du musicien, et nous le retrouverons, devenu un véritable système musical, du plus heureux effet, dans les derniers et les plus beaux Lieder de Duparc, L’Invitation au Voyage et Phidylé.

Que de tendresses et d’intimité, dans Chanson Triste (Jean Lahor). Un sentiment mélancolique domine, enveloppant la mélodie entière d’une largeur d’inspiration, encore inégalée, selon nous ; bien que d’une écriture élégante et soignée, ce lied est des plus profonds que nous connaissions ; sans nulle afféterie, il séduit et charme, combinant dans la plus heureuse harmonie, les qualités dominantes de la muse de Duparc — qui sont aussi celles de l’homme — sincérité, spontanéité, énergie, avec une extrême pureté, dans la ligne mélodique, et une rare intensité expressive de la partie chantée. L’accompagnement de Chanson Triste, d’une incomparable douceur, est écrit dans la forme arpégée, pour laquelle Henri Duparc semble avoir quelque prédilection, et qui contraste très heureusement avec la tenue simple de voix (à noter la délicieuse modulation : ut mineur, fa dièze majeur[1].

Quand tu berceras mon triste cœur et mes pensées
Dans le calme aimant de tes bras !

Mais, parmi ces mélodies d’une manière déjà ancienne, celle qui nous paraît de la plus belle venue est sans doute le Soupir, d’après Sully-Prud’homme. La ligne simple du chant (ce souci de la pureté mélodique est caractéristique du lied de Duparc) s’oppose au mouvement persistant de l’accompagnement et donne à cette œuvre une plénitude expressive remarquable, qui traduit merveilleusement les retours du « soupir » :

Toujours l’aimer !

À la même époque (1874) se rattachent deux œuvres d’un romantisme quelque peu bruyant, que nous avons déjà mentionnées, Le Galop et La Vague et la Cloche ; nous reviendrons à ce dernier lied pour chant et orchestre, réuni, par les soins de MM. Bellon et Ponscarme, éditeurs, à sept autres mélodies, récemment publiées en un seul recueil. Citons encore — mais dans une période plus proche — deux mélodies, publiées par le Journal de musique, fondé par Dalloz et qui vécut quatre ans seulement ; Au Pays où se fait la guerre (Th. Gautier), numéro du 19 mai 1877) qui fut chantée à la Société Nationale par Mlle Vergin, le 28 février 1880 ; et Élégie (strophes de Th. Moore à Robert Emmet traduites en prose, déjà mises en musique par Berlioz), numéro du 12 janvier 1878. Cette dernière pièce fut, par la suite, rééditée par Baudoux, ainsi que la Vie antérieure, ouvrage de la même époque.

Si Au pays où se fait la guerre évoque plutôt le souvenir de Saint-Saëns, par son architecture générale, l’Élégie et la Vie Antérieure sont nettement franckistes,

  1. Voix élevées.