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De nobles amitiés et la célébrité persistante de tant de pages, volontairement inédites, auraient dû cependant éclairer Henri Duparc sur la valeur d’un incontestable talent, que, seule, sa fine et scrupuleuse nature d’artiste, semble obstinément se refuser. Né à Paris, le 21 janvier 1848, d’un père ingénieur et administrateur de la Compagnie de Saint-Gobain (l’aîné de ses frères, Arthur, s’occupait de critique d’art), Henri Duparc fit ses études au collège des Pères Jésuites de Vaugirard, puis il passa, sans grande conviction, ses examens de droit. À Vaugirard, Duparc avait fait la connaissance de César Franck, qui y devint promptement son ami, en même temps que son maître de piano, d’harmonie, de contrepoint et de composition. L’influence du mystique auteur des Béatitudes fut considérable sur la formation artistique du jeune musicien, et c’est en grande partie à ce contact intime avec un maître, d’une si rare probité artistique que nous devons de rencontrer, en Duparc, cette belle modestie, inconnue des médiocrités, cette extraordinaire sévérité pour lui-même, qui font du chantre de Phidylé le digne successeur de l’organiste liégeois. Avec son noble professeur, les premiers amis de Duparc, dans la carrière artistique, furent Camille Saint-Saëns, qui, par la suite, réduisit pour deux pianos son poème symphonique Lénore[1] et lui dédia la Jeunesse d’Hercule, Romain Bussine, Fauré, le charmant et regretté Alexis de Castillon, enfin le peintre Henri Regnault, qui était féru de musique et doué, paraît-il, d’une voix de ténor magnifique[2].

L’initiation de Duparc au drame wagnérien fut l’œuvre de Saint-Saëns, qui lui communiqua, en 1870, les partitions du Rheingold et de la Walküre, nouvellement parues, et l’entraîna à Munich pour assister à la représentation de ce dernier ouvrage. Chassé brusquement d’Allemagne par la déclaration de guerre, Duparc dut rentrer à Paris, où il prit part comme mobile aux premières opérations du siège[3]. « C’est là, écrit Vincent d’Indy — que, ayant fait la connaissance de Duparc, un an avant la guerre, dans une charmante famille irlandaise, la famille Mac Suviney, dont une des jeunes filles devint Mme H. Duparc, séduit par la franchise de son caractère et pas son exubérant enthousiasme pour le Beau, devint aussi aussitôt et resta l’un de ses plus intimes amis, que je le retrouvai à cette bizarre époque où, lui venant de Bagnolet et moi du fort d’Issy, nous nous rencontrions le dimanche au Cirque d’hiver. Pasdeloup, en garde national, y dirigeait un orchestre bariolé où se coudoyaient des spécimens de tous les corps extraordinaires créés pendant la guerre : moblois, gardes nationaux, volontaires bruns, gris, verts, etc… ; en ces curieux concerts, la Symphonie pastorale était commentée par Sarcey (!) qui faisait sur Beethoven une longue conférence, et la Réformation--

    n’écris plus, c’est parce que je manque de confiance en moi-même, ou pour toute autre raison : la vérité est que je suis, depuis au moins vingt ans, tout-à-fait détraqué et déséquilibré — par suite d’un état nerveux que jamais personne n’a pu s’expliquer (les médecins moins que les autres) — et que je ne puis absolument rien faire ; je n’ai pas besoin de vous dire quel chagrin c’est pour moi ; si je pouvais en être consolé, je le serais certainement par l’estime qu’on a pour les quelques pages, écrites il y a si longtemps.

  1. Cette pièce très remarquable existe aussi transcrite à 4 mains, par César Franck ; l’arrangement pour deux pianos avait été publié par O’Kelly ; revue par l’auteur, la partition d’orchestre en fut publiée — vers 1894 ou 1895 — par l’éditeur Leuckardt, à Leipzig.
  2. Duparc dédia à la mémoire du peintre Regnault la Fuite, duo pour soprano et ténor, sur des vers de Th. Gautier, chanté à la Société Nationale en 1873 et publié en 1902, par M. Demets, éditeur parisien.
  3. Nous empruntons la plupart de ces renseignements, ainsi que l’extrait suivant de Vincent d’Indy, à l’excellente étude, publiée (1895, Guide Musical) par M. Georges Servières, sur Henri Duparc, dont nous n’avions pu vaincre suffisamment — au gré de notre curiosité sympathique — la scrupuleuse modestie et l’amour excessif des volontaires effacements.