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faut, me dis-je, que tout autre travail cessant, j’écrive une maîtresse œuvre, sur un plan neuf et vaste, une œuvre grandiose, passionnée, pleine aussi de fantaisie, digne enfin d’être dédiée à l’artiste illustre à qui je dois tant. Pendant que je ruminais ce projet, Paganini, dont la santé empirait à Paris, se vit contraint de repartir pour Marseille, et de là pour Nice, d’où, hélas, il n’est plus revenu. Je lui soumis par lettre divers sujets pour la grande composition que je méditais, et dont je lui avais parlé.

« Je n’ai, me répondit-il, aucun conseil à vous donner là-dessus, vous savez mieux que personne ce qui peut vous convenir. »

Enfin, après une assez longue indécision, je m’arrêtai à l’idée d’une symphonie avec chœur, solos de chant et récitatif choral, dont le drame de Shakespeare, Roméo et Juliette, serait le sujet sublime et toujours nouveau. J’écrivis en prose tout le texte destiné au chant entre les morceaux de musique instrumentale ; Émile Deschamps, avec sa charmante obligeance ordinaire et sa facilité extraordinaire, le mit en vers, et je commençai.

Ah ! cette fois, plus de feuilletons, ou, du moins, presque plus ; j’avais de l’argent, Paganini me l’avait donné pour faire de la musique, et j’en fis. Je travaillai pendant sept mois à ma symphonie, sans m’interrompre plus de trois ou quatre jours sur trente pour quoi que ce fût.

De quelle ardente vie je vécus pendant tout ce temps ! Avec quelle vigueur je nageai sur cette grande mer de poésie, caressé par la folle brise de la fantaisie, sous les chauds rayons de ce soleil d’amour qu’alluma Shakespeare, et me croyant la force d’arriver à l’île merveilleuse où s’élève le temple de l’art pur !

Il ne m’appartient pas de décider si j’y suis parvenu. Telle qu’elle était alors, cette partition fut exécutée trois fois de suite sous ma direction au Conservatoire, et trois fois elle parut avoir un grand succès. Je sentis pourtant aussitôt que j’aurais beaucoup à y retoucher, et je me mis à l’étudier sérieusement sur toutes ses faces. À mon vif regret, Paganini ne l’a jamais entendue, ni lue. J’espérais toujours le voir revenir à Paris, j’attendais d’ailleurs que la symphonie fût entièrement parachevée et imprimée pour la lui envoyer ; et sur ces entrefaites, il mourut à Nice, en me laissant, avec tant d’autres poignants chagrins, celui d’ignorer s’il eût jugé digne de lui l’œuvre entreprise avant tout pour lui plaire, et dans l’intention de justifier à ses propres yeux ce qu’il avait fait pour l’auteur. Lui aussi parut regretter beaucoup de ne pas connaître Roméo et Juliette, et il me dit dans sa lettre de Nice du 7 janvier 1840, où se trouvait cette phrase : « Maintenant tout est fait l’envie ne peut plus que se taire. » Pauvre cher grand ami ! il n’a jamais lu, heureusement, les horribles stupidités écrites à Paris dans plusieurs journaux sur le plan de l’ouvrage, sur l’introduction, sur l’adagio, sur la fée Mab, sur le récit du père Laurence. L’un me reprochait comme une extravagance d’avoir tenté cette nouvelle forme de symphonie, l’autre ne trouvait dans le scherzo de la fée Man qu’un petit bruit grotesque, semblable à celui des seringues mal graissées. Un troisième, en parlant de la scène d’amour, de l’adagio, du morceau que les trois quarts des musiciens de l’Europe qui le connaissent mettent maintenant au-dessus de tout ce que j’ai écrit, assurait que je n’avais pas compris Shakespeare !  !  ! Crapaud gonflé de sottise ! Quand tu me prouveras cela…

Nouvelles Diverses

Louise de Charpentier vient d’être représenté au Théâtre royal de la Haye. Le principal rôle a été créé par Mlle Lucia Muller qui, on se le rappelle, l’a chanté deux fois à Lyon en remplacement de Mme Tournié.

Du 1er juillet 1902 au 30 juin 1903, l’Anneau du Nibelung a été joué 5 fois à Berlin, 4 fois à Dresde et Hambourg ; 3 fois à Vienne ; 2 fois à Bruxelles, à Brème, à Dessau, à Dusseldorf, à Mannheim, à Riga, à Strasbourg et à Stuttgart ; une fois à Brunn, à Darmstadt, à Halle, à Hanovre, à Cassel, à Cologne, à Lubeck, à Munich, à Prague, à Weimar, à Wiesbaden et à Zurich.

Comme on le voit, la Tétralogie que toutes les scènes allemandes représentent, n’a été jouée en français qu’à Bruxelles.

M. Castelbon de Beauxhotes, directeur du Théâtre des Arènes de Béziers, a réuni mercredi dernier, tous ses collaborateurs, et leur a officiellement annoncé qu’il donnerait cette année l’Armide, de Gluck, le dimanche 28 et le mardi 30 août.