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des grands chefs-d’œuvre de la musique, est destiné à demeurer encore longtemps dans le domaine de l’utopie, tout en conservant, d’ailleurs, la fière élégance d’un geste noble et charitable. Il n’en demeure pas moins avéré que le peu d’empressement apporté par la population lyonnaise à encourager et soutenir des manifestations artistiques d’un ordre indiscutablement élevé, n’est pas fait pour reconquérir à notre vieille cité la réputation de bon goût et de culture musicale, que d’aucuns ne se font pas faute de lui refuser. Je ne parle pas seulement des séances classiques, dites de musique de chambre, qui ne peuvent guère être suivies et goûtées que par une élite, en raison du coût élevé des places et du caractère éminemment sérieux, souvent aride, qu’elles présentent. Pour remplir une salle, dans de telles conditions, il faut ce que le vulgaire dénomme judicieusement un « numéro sensationnel », de préférence un pianiste réputé ou un chanteur émérite. Mais il est un genre de concerts, et j’en reviens ainsi au point de départ de cette digression, car l’audition de Mme Mauvernay rentre dans cette catégorie, dont les Lyonnais ont le loisir, depuis quelques années, de goûter le haut enseignement et la profonde protée artiste : je veux parler des auditions, organisées par la Schola de Paris, et, depuis un an, par notre chère filiale lyonnaise, séances qui n’obtiennent, ni moralement, ni matériellement, le succès qu’elles méritent[1]. Quelles sont les causes de cette défaveur, de cette indifférence incroyable du public, j’entends du gros public, non des snobs, ni des vrais artistes, à l’égard de manifestations musicales, s’adressant à tous les épris de beauté, quels que soient leurs goûts, leurs préférences (les programmes comportent des œuvres de toutes écoles, pourvu que la musique en soit bonne), quel que soit surtout leur niveau social ? Sans qu’aucune solution acceptable se présentât, l’inquiétante énigme se posait et s’imposait, l’autre semaine, à mon esprit, pendant que je considérais la salle des Folies-Bergère, où se trouvait rassemblée une assistance, certes, des plus distinguées, mais précisément trop élégante et insuffisamment nombreuse, chaude, enthousiaste, pas assez « peuple », en un mot. Le Concert organisé par le distingué et très aimable professeur de notre Conservatoire, rentrait complètement dans la note des plus belles auditions de la Schola, auxquelles je faisais allusion, plus haut, et justifiait complètement la noblesse de son titre de Concert populaire, aussi bien par le bon marché des places que par le choix judicieux et la variété des œuvres portées au programme, dont nul numéro fâcheux (sauf peut-être les dernières pièces, jouées par Mme Panthès) ne déparait la magistrale ordonnance.

Je sais bien, que Lyon est, en ce moment débordé de concerts, que c’est toujours aux mêmes portes que l’on frappe, enfin que le Grand-Théâtre faisait, ce soir-là, salle comble avec l’admirable Louise Janssen, dans le Crépuscule des Dieux, et que la population de notre ville ne peut, le même jour, alimenter deux foyers artistiques. Alors, vous répondrai-je, comment expliquer — sinon par l’impétuosité des bas instincts de la foule — que chaque jour voit s’élever les magnifiques recettes de l’Horloge ou du Casino, où défilent, en des revues luxueuses, de scabreux tableaux, galamment encadrés de décolletages suggestifs et pimentés de déshonnêtes calembours ? Il n’est donc point de milieu, pour le bon peuple : le gros rire et la vile plaisanterie du café-concert, ou les arcanes sombres de la Tétralogie ?

Éducation populaire, fraternité artistique des diverses couches sociales ! Chimère et nobles billevesées ! Et pourtant, j’y crois fermement, à la réalisation de cette admirable utopie ; mais la Tétralogie ne sera pour rien dans cette lente pénétration du Beau parmi les instincts grossiers de la foule. Bach, Beethoven, Franck et D’Indy suffiront, avec l’énorme monument de leurs œuvres, d’une si large et si expressive bonté, l’humanité éternelle des Cantates, la magnificence des Oratorios d’Haëndel, le mysticisme de la Rédemption, les symboles vibrants du Chant de la Cloche et de l’Étranger. Mais sachons commencer par le début, les Symphonies classiques, celles de Beethoven, notamment, pilier et base de toute musique, après le grand Jean-Sébastien Bach et avant Schubert, Schu-

  1. La récente, et pourtant, si belle exécution de la Schola lyonnaise en est un exemple aussi regrettable que concluant.