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la Zola : ce sont les doctrines de Germinal et de la Terre appliquées au théâtre lyrique.

Cavalleria Rusticana est le prototype de ce genre nouveau. On ne peut imaginer plus banale et plus grossière aventure que celle de ce marchand de vins qui trompe sa maîtresse avec la femme d’un charretier. Je n’ai pas lu l’œuvre italienne, mais je doute qu’elle soit d’un charme bien pénétrant. La traduction française est, en tout cas, d’un manque absolue de lyrisme. Il y a des récitatifs qui ont l’air d’une gageure, et rappellent les plus sinistres bouffonneries des Gargouillada des Folies Dramatiques. Que pensez-vous de l’alexandrin : « Il a dû rester chez le maréchal ferrant ? » Il y a aussi une strophe sur les provisions de vin qu’on a été faire à la ville tout à fait jolie et poétique.

La partition n’est peut-être pas aussi déplorable que le drame, sans être cependant un chef-d’œuvre, tant s’en faut. Elle est surtout volontairement violente et tapageuse, elle est aussi bien souvent banale et constamment inélégante. Je ne parle pas de réminiscences excessives, et de ressemblances exagérées : nous savons que c’est là une des caractéristiques de l’école italienne contemporaine et la Bohème nous a blasé là-dessus. Les pages les plus sincères et les meilleures sont les plus simples : des chants populaires, comme l’air Ô Marjolaine, ou la chanson à boire. Mais tout ce qui a une intention descriptive et réellement dramatique est d’un regrettable mauvais goût ; je n’aime ni l’ensemble : Bénissons le Seigneur ! bien banal, ni les duos pastichés de Massenet ; et il faut faire de sérieuses réserves sur le succès enthousiaste qui accueillit autrefois l’intermezzo, dont la meilleure qualité semble être sa simplicité de facture et d’instrumentation avec le seul quatuor des cordes ; mais quel relent d’italianisme vieillot s’exhale de cet accompagnement harpe en grande guitare et de ces pamoisons de violoncelles[1].

L’orchestration est constamment d’une pauvreté rare, avec des intentions d’être neuve et savante, qui sont pitoyables. Citons les accords de trombones qui veulent être lugubres et ne sont que bouffons, au moment où le charretier refuse de boire le vin offert par Torribio Ci tons aussi le tapage braillard des cuivres et de la batterie dans la phrase finale. Bien entendu, l’obnubilation du rythme ternaire est là, incessante ; on s’aime, on se menace, on se tue en mouvement de valse, dans un tourbillon à trois temps, sans repos. Il y a un long passage au début où cette manie est poussée jusqu’à l’impudence ; le timbalier bat la fondamentale sur les premiers temps de la mesure et la quinte sur les deux autres, régulièrement, comme un balancier de pendule. Ceci ne s’était encore vu que dans les pantalonnades de Music Hall.

L’interprétation de Cavalleria était satisfaisante. Mme Mazarin a le masque suffisamment dramatique, mais elle exagère un peu la mimique, trop théâtrale, trop en scène, trop convenue. Là, plus qu’ailleurs, il faut blâmer le hoquet tragique dont elle coupe ses phrases, et qui revient un peu trop souvent. Elle a été cependant intéressante dans ce rôle, dont le registre convenait parfaitement à son timbre, grave et prenant.

M. Gauthier a rencontré là un emploi, qui cadrait de tous points avec ses qualités d’énergie et de rudesse, avec ses qualités vocales aussi. Ce rôle lui convient comme celui de don José, comme tous ceux où il ne faut ni afféterie, ni mignardise, ni les vertus voisines de ces deux défauts.

Citons encore M. Dufour, très bon ; Mlle de Véry, vaguement suffisante, et Mme Joet, parfaitement invraisemblable de froideur et d’inconscience de son rôle. L’orchestre très bon, comme toujours.

Le Légataire universel

La macabre comédie de Regnard prêterait à d’intéressants commentaires que la place limitée dont je dispose me dispense d’étaler ici. Il ne semble pas, en tout cas, qu’il fût particulièrement indiqué de la muer en opéra comique. C’est pourtant ce qu’a cru devoir faire l’auteur de Jacqueline et de l’Enclume.

De cinq actes, le Légataire a été réduit en trois, tout en en conservant le texte alexandrin. On y a simplement introduit des cou-

  1. Il serait intéressant de comparer l’intermezzo au nocturne qui joue un rôle identique dans la Navarraise de Massenet. On sait que la Navarraise est le contrecoup de Cavalleria, de la même manière que Cendrillon est la réfraction d’Haensel und Gretel.